Avons-nous (vraiment) bien lu Durkheim et bien saisi toute la radicalité de son geste fondateur de la discipline sociologique ? À lire Anne Rawls, et relire avec elle De la division du travail social, rien n'est moins sûr. Le temps est venu, cent ans après la mort de Durkheim, de faire revivre ce texte inaugural.
La contribution de la sociologue américaine peut être lue comme une nouvelle préface à l'édition originale de La division du travail social. À ce titre, Durkheim est lui aussi et tout autant l'auteur du présent livre, notamment par la publication de sa longue introduction oubliée de 1893 (il y manque depuis plus d'un siècle, une dizaine de pages, essentielles, que l'on retrouve ici). Plus encore, tel un palimpseste, cet ouvrage convoque tout un ensemble d'auteurs contemporains pour esquisser, à l'ombre de l'histoire officielle, une histoire en quelque sorte parallèle, clandestine de la sociologie.
Pour autant, cette invitation à découvrir un autre Durkheim, n'intéressera pas seulement les sociologues, mais aussi les philosophes. En effet, un autre texte s'enchâsse dans cette intrigue, la fameuse Théorie de la justice, de John Rawls, le père de l'auteur. Car ce qui est avant tout en jeu dans cette relecture de l'ambition sociologique durkheimienne, c'est aussi et surtout sa dimension politique et toute sa pertinence aujourd'hui, pour penser les formes et les conditions d'une société juste.
Cette audacieuse lecture de l'oeuvre de Durkheim ne manquera pas de susciter des réactions contrastées tant elle bouscule bien des interprétations convenues de la sociologie durkheimienne. Voire de la sociologie tout court. Elle invitera par ailleurs les philosophes à nouer un dialogue renouvelée entre science sociale et philosophie morale et politique.