Serré en fin du premier livre des Essais, le petit chapitre « Des prières » en est assurément un grand pour quiconque examine la considération religieuse chez Montaigne. Il fournit aussi à celui qui s'intéresse à la genèse du texte une pièce de première importance, ne serait-ce que par le préambule dont, au retour d'Italie, l'auteur a doté ce chapitre un moment censuré. Ici plus qu'ailleurs peut-être, Michel de Montaigne a défini le statut de son livre : délibérément « humaniste » et « laïc », mais « très-religieux toujours ». Se rappelant sans doute que Thémis, la Justice, est parèdre de Jupiter, la Puissance, il s'en prend à ceux-ci qui, chrétiens en tête, s'adressent à Dieu sans révérence ou en font leur complice, mais aussi à ceux-là qui osent le réduire à raison. Si seul le « Notre Père » lui agrée, c'est que cette prière, réclamant le pardon préalable des offenses, ne dissocie pas miséricorde et justice divines et qu'elle écarte d'emblée toute supplique inconsidérée. Sans perdre jamais ce fil conducteur, les états successifs de l'essai « Des prières » divulguent quelque chose du « train » des « mutations » d'un auteur qui se confie toujours davantage, montre son irritation grandissante, prend plus parti et ouvre son texte aux poètes. Sans le fermer à Dieu.
Le Merlin de Robert de Boron est la partie du cycle arthurien qui précède immédiatement le Lancelot. Merlin, fils d'un incube et d'une vierge, a favorisé les amours d'Igerne et d'Uter, d'où naîtra Arthur ; c'est Merlin qui fit fonder la Table Ronde avec son siège périlleux. Le texte nous est parvenu sous la forme fragmentaire de 504 vers et dans une translation en prose du XIIIe siècle. Alexandre Micha, grand spécialiste des romans arthuriens en prose, nous procure la première édition critique moderne rendant ainsi honneur à la prose de Robert de Boron. L'édition se fonde sur le manuscrit fr. 747 (A) de la Bibliothèque nationale de France, le moins fautif, le plus cohérent peut-être, en notant toutes les variantes.
A l'époque moderne, l'éclatement de la chrétienté en confessions rivales, en un "catholicisme" et des "protestantismes", a suscité le développement de la controverse et l'élaboration d'une immense littérature religieuse. L'écrit, et particulièrement l'imprimé, devenait l'instrument du débat théologique et philosophique. Ce faisant, l'interprétation des écrits - la Bible, les Pères, les auteurs spirituels -, l'établissement du sens des textes et l'émergence de l' " auteur " au sens moderne du terme entraînaient à leur tour un problème philosophique autant que théologique et donnaient naissance à des disciplines autonomes, l'exégèse et l'herméneutique. Les travaux rassemblés dans ce livre constituent un essai d'interprétation de plusieurs corpus textuels, d'oeuvres de philosophes, de théologiens et d'auteurs spirituels. Ils fournissent une réflexion sur la constitution ou la modification des références fondatrices (le rapport à une origine, les structures psychiques ou anthropologiques). Que les questions de la spiritualité, de la dévotion et de l'institution soient centrales dans ces recherches n'étonnera pas : l'homme moderne y est engagé, s'affirmant comme sujet de son expérience.
Augustin, déjà, distingue parmi les combats et conçoit l'idée de guerre juste. Ceux qui la mènent, et qui sont milites, peuvent donc être rassurés sur leur sort éternel : Dieu n'est pas hostile aux soldats, lorsqu'ils se mettent au service du bien. Les doutes persistent cependant, et il faut souvent vaincre ces inquiétudes, montrer que l'on peut être en même temps un bon chrétien et un bon miles. Les guerres menées par ou pour les papes y contribuèrent. La valorisation de la guerre, lorsqu'elle est « juste », voire « sainte », n'entraîna pas aussitôt une grande promotion de la condition guerrière. Les milites demeurent encore, par leur métier, entachés d'une certaine faute, tachés du sang répandu, même pour une juste cause. Les entreprises des papes contre leurs voisins, pour libérer le jeune état pontifical des menaces lombardes, sarrasines, normandes, les expéditions de la Reconquista espagnole, plus tard les croisades conduisirent à une plus grande valorisation de la militia. Les milites sortent de l'ombre. La militia naît. L'essorde la chevalerie va commencer. Le manteau idéologique, lentement tissé pour d'autres, va pouvoir l'habiller.
L'Effet Pygmalion procède d'une incursion dans l'immense fortune littéraire, visuelle, audiovisuelle enfin, du mythe fondateur de la première histoire de simulacres consignée par la culture occidentale. La légende raconte qu'un sculpteur chypriote tombe amoureux de l'oeuvre qu'il façonne; dans un élan de magnanimité, les dieux décident de l'animer. Devenue, par la volonté divine, femme et épouse de son créateur, cette dernière reste néanmoins un artefact qui, s'il est doué d'âme et de corps, n'en demeure pas moins un fantasme. Un simulacre, précisément. Artifice privé de modèle, le simulacre ne copie pas un objet réel, il s'y projette plutôt et l'escamote, il existe en soi. Ne procédant pas de la copie d'un modèle, n'étant nullement fondé sur la ressemblance, le simulacre transgresse la mimésis qui domine la pensée artistique.
Ambitieux, l'ouvrage ne se satisfait pas d'une approche interdisciplinaire. Ainsi définit-il son objet critique non par une succession de témoignages artistiques ou littéraires, mais par la conception même de la représentation, le statut du modèle et de la copie. En ce sens, si un texte d'Ovide ou de Vasari, une miniature médiévale, une statue vivante de la Renaissance, une peinture romantique, une photographie, un film et jusqu'à la poupée Barbie sont convoqués par Victor Stoichita, c'est pour être examinés avec les mêmes principes critiques et contribuer à un discours herméneutique sur la conception occidentale de l'image.
Le mythe de Pygmalion, parabole de l'infraction même de la représentation, de l'éviction de la mimésis et de la déviation du désir, fonde une anthropologie de l'objet esthétique et donne à voir la feinte originelle dans toute société captivée par les simulacres et ses leurres, telle que la nôtre.
L'Âge de l'éloquence démontre l'utilité, pour l'historien de la culture, du paradigme rhétorique. La première partie apprécie la longue durée : Antiquité classique et tardive, Renaissance italienne et Réforme catholique. On y voit s'établir et se rétablir dans la culture européenne la fonction essentielle de médiation, de transmission et d'adaptation exercée par la rhétorique. Les débats relatifs au " meilleur style ", à la légitimité et à la nature de l'ornatus, à la définition de l'aptum, ne sont pas le privilège de professionnels de la chose littéraire : ils mettent en jeu, à chaque époque, l'ensemble du contenu de la culture et impliquent la stratégie de son expansion et de sa survie. Les parties suivantes examinent respectivement deux grandes institutions savantes de la France humaniste, le Collège jésuite de Clermont et le Parlement de Paris. A l'horizon apparaissent le public féminin et le public de cour, que la res literaria savante et chrétienne ne saurait ignorer sans se condamner à la stagnation ou à l'étouffement. Les débats rhétoriques entre jésuites ou entre magistrats gallicans oscillent donc entre la nécessité de ne rien sacrifier de l'essentiel, et l'autre nécessité, celle de doter cet " essentiel " d'une éloquence propre à le faire aimer, admirer, embrasser par les "ignorans ". Autant de débats qui se nourrissent de l'abondante jurisprudence accumulée par la tradition humaniste et chrétienne. Le classicisme surgit ainsi, dès le règne de Louis XIII, comme une solution vivante et efficace à un problème qui n'a rien perdu de son actualité : comment transmettre la culture en évitant le double péril de la sclérose élitiste et de la démagogie avilissante ?
On ne sera pas étonné que le travail des commentateurs médiévaux s'ancre à deux points fondamentaux : l'analyse du langage de l'Ecriture, la possibilité de faire éclater ce langage pour aller au-delà de ce que sont en mesure d'exprimer les mots. Faisceau de techniques consistant à décoder l'Ecriture, traitant de la compréhension et de l'interprétation humaine de textes réputés d'inspiration divine, l'exégèse enrichit le texte biblique d'une signification déclinée en différents sens. Ainsi la réflexion herméneutique porte avant tout sur l'analyse du langage de la Bible. Se pose la question de savoir si l'herméneutique est alors réduite à des fins d'allégorèse ou si elle fait l'objet, aux XIIe et, plus encore, XIIIe siècles, d'une réflexion proprement épistémologique tout en démarquant son champ d'application au seul corpus biblique.
Force est de constater que l'intense pratique exégétique des XIIe et XIIIe siècles s'est accompagnée d'une réflexion non moins consistante. Au départ de ce constat, Gilbert Dahan examine comment une exégèse confessante, de type traditionnel, dans laquelle inspiration et expérience jouent un rôle prépondérant, en vient à être formalisée. Dossiers à l'appui, il établit quels moyens elle déploie pour fondre en un système cohérent les contradictions qui la constituent, acquérir les caractères de ce que l'on appellerait volontiers une exégèse scientifique et enclencher le processus d'une méthode herméneutique.
En d'autres termes, le présent recueil, et l'intérêt même du choix des travaux réunis, permet de poser que l'intention herméneutique est bien applicable au Moyen Age et ne peut être tenue pour un effet, qu'il faudrait admettre anachronique, de la recherche contemporaine.
Le présent ouvrage, consacré à l'apparition du tableau, a pour objectif de rendre visible le processus par lequel le travail métapictural a fondé la condition moderne de l'art. Il interroge également le statut du tableau en tant qu'objet figuratif "moderne". Cette étude traite du statut de l'image peinte en Europe occidentale entre 1522, année de la révolte iconoclaste de Wittemberg, et 1675 lorsque Cornelius Norbertus Gijsbrechts - peintre originaire d'Anvers - créa une toile représentant le revers d'un tableau. Stoichita concentre ces analyses sur des exemples venant de l'Europe du Nord, région où se cristallise le discours métapictural, la crise du statut de l'image religieuse et enfin la crise du "tableau" lui-même.
La Suite du roman de Merlin est une continuation du Merlin en prose attribué à Robert de Boron. Elle raconte les premières années du règne d'Arthur après l'élection au trône du jeune souverain. Durant ces années, Arthur consolide son pouvoir et la révélation du secret de sa naissance met un terme aux doutes de ses barons, qui l'acceptent définitivement comme roi quand ils apprennent qu'il est le fils d'Uterpandragon. Il épouse Guenièvre et reçoit la Table Ronde... Pourtant, à la différence de la Suite-Vulgate, la Suite du roman de Merlin n'est pas une simple chronique des débuts du règne d'Arthur, car l'auteur a introduit dans son oeuvre un sombre climat de fatalité. L'inévitable catastrophe qui mettra un terme à l'épopée arthurienne trouve son origine dans l'inceste commis par le jeune roi avec sa soeur, la reine d'Orcanie, relaté dès le début du roman.
Première édition qui tienne compte du manuscrit de Cambridge, inconnu de G. Paris, manuscrit qui porte la trace d'un réel remaniement. Gilles Roussineau donne par ailleurs une très fine analyse de la langue des manuscrits dans son introduction et munit son édition de tous les outils nécessaires à sa lecture et à son étude.
Duchesse souveraine de Bretagne et reine de France pour la seconde fois, épouse de Charles VIII puis de Louis XII, Anne meurt à Blois le 9 janvier 1514. Ses obsèques durent soixante-dix jours. Un long convoi, terrestre, mène son corps à Paris et Saint-Denis, puis un bref voyage, fluvial, apporte son coeur à Nantes où son coffret d'or, exceptionnel, reste le symbole de la relation mystique entre un peuple, sa souveraine et son territoire. La multiplicité des rites, parfois nouveaux, et la richesse des cérémonies révèlent la puissance de la Couronne, l'importance des Bretons, le rang de chacun, le poids de l'Eglise et le rôle de la quête du salut. Par les regards croisés de l'historien, qui interprète les textes, de l'historien de l'art, qui décrypte les miniatures, et de l'archéologue, qui fait parler les objets, le lecteur découvre au jour le jour l'organisation politique, la préparation technique, le déroulement et le rayonnement des plus grandioses obsèques royales qu'ait connues la France au début de la Renaissance.
Les humanistes ont joué un rôle essentiel dans l'élaboration de la critique littéraire et la constitution de la poétique comme discipline distincte de la grammaire et de la rhétorique. Ils ont conditionné la réception des traités antiques, en particulier la Poétique d'Aristote et l'Art poétique d'Horace, et ont problématisé des concepts appelés à une grande fortune, comme la mimèsis, la catharsis, le decorum ou l'ut pictura poesis. Ils ont apporté des éléments théoriques originaux, élaboré des taxinomies génériques complexes et repensé les systèmes de classification des arts. Cette Anthologie offre une vision synthétique des textes théoriques latins en Europe, du Trecento à la fin du XVIe siècle. Elle présente les principaux penseurs et leur art poétique, analyse les notions clefs et propose un choix de textes emblématiques, édités, traduits et contextualisés. Un bel outil de travail pour penser l'utilité de la poésie, la création, l'histoire littéraire et les normes esthétiques.
Le divertissement, la fête, le rire sont des besoins que, pour exorciser les inquiétudes de la vie quotidienne, nous éprouvons tous. Cela est encore plus vrai dans les sociétés soumises à une discipline sévère ou confrontées à des événements douloureux. Les XVIe et XVIIe siècles ont su créer ces espaces d'exception. Ils ont réservé une place aux bouffons et aux farceurs, à l'expression publique de l'exubérance et de la gaieté, ils ont su contourner les interdits pour libérer l'énergie vitale de ses entraves. La littérature tient sa part dans ce grand jeu. Au XVIe siècle, Erasme, Rabelais, Montaigne, quelques autres docteurs en gai savoir affirment la légitimité du plaisir. Lorsque l'ordre moral et la police des idées se resserrent, au XVIIe siècle, des écrivains prennent la relève, remplissant dans la société la même fonction que le fou à la cour. Ce sont des bohèmes, des saltimbanques, des lettrés plus ou moins libertins qui incarnent ou mettent en scène la joie pour la faire advenir. Si Molière joue ce rôle à la perfection, toute une faune littéraire, à ses côtés, s'emploie à créer des mondes où l'homme, en accord avec son désir, peut s'épanouir.
Dès le texte biblique, libérer l'individu possédé par le diable est une question épineuse qui reçoit une réponse musicale : David soigne Saul grâce au pouvoir de son instrument. Si la théorie musicale et la glose médiévale véhiculent cette action de la musique sur le malin, c'est au XVe siècle que naît un genre littéraire particulier à la diffusion et au succès européens : le manuel d'exorcisme où les théologiens établissent une science des signes pour distinguer la possession démoniaque des maladies naturelles et discourent des remèdes spirituels et corporels. La musique y est signe de la présence du diable et son langage participe des altérations du possédé, mais elle est aussi antidote et rétablit l'harmonie du corps aliéné. L'analyse de la musique dans les manuels d'exorcisme, au coeur de cet ouvrage qui inclut également la littérature de sorcellerie et de nécromancie, dévoile un rôle et un statut de la musique méconnus jusqu'à aujourd'hui que celle-ci ne perdra pourtant qu'à la mise à l'Index des manuels les plus célèbres au début du XVIIIe siècle.
Les paroles des prédicateurs transmises au prisme déformant des sermons modèles ou des prises de notes préservent quelque chose du processus de communication qui est leur raison d'être. Il faut pour le percevoir considérer l'ensemble du système de communication sociale auquel elles appartiennent. Comment, en effet, être écouté et se faire entendre des simples gens sans parler à l'unisson de la liturgie et des images, à la manière d'instruments de musique divers et concertants ? Comment les entretenir efficacement de Dieu, des anges et des saints, sinon par des figures qui parleront à leur imaginaire et en chargeant les mots du quotidien d'autres sens que leur sens immédiat ? Ces voies richement documentées ne doivent pas faire perdre de vue la question difficile mais cruciale de la réception effective. Puisque les mêmes repères culturels sont souvent partagés entre les prédicateurs et ceux qui les écoutent, l'adoption massive des représentations religieuses disséminées dans les sermons s'en trouve facilitée. Mais l'accueil du message est rarement dénué de réinterprétation.
Dans ce recueil d'articles méthodologiques inédits en français, Q. Skinner réfléchit aux principes à l'oeuvre dans le travail de l'histoire intellectuelle : celle-ci doit-elle s'intéresser à la vérité des croyances étudiées ou bien simplement s'efforcer de restituer la rationalité des systèmes de pensée étrangers ? Doit-elle traiter différemment un pamphlet, un traité, un document constitutionnel, un discours au parlement et une fresque ou un tableau ? Le souci de contextualiser la pensée des auteurs du passé détruit-il leurs prétentions philosophiques ou rend-il au contraire possible la reconstruction fidèle de leurs intentions ? L'intérêt des réponses que Q. Skinner apporte à ces questions tient notamment au fait qu'il emprunte à J. L. Austin et L. Wittgenstein certaines de leurs intuitions les plus puissantes sur les actes de langage, et les intègre dans une perspective rhétorique où la politique est vue comme un champ de bataille mettant aux prises les stratégies de légitimation idéologique et les contraintes exercées par les principes professés sur l'action individuelle et collective.
Explorateur curieux et audacieux, Frank Lestringant n'a cessé, dans son oeuvre au long cours et à large envergure, d'ouvrir des horizons nouveaux sur la littérature de la Renaissance, quitte à bousculer une critique parfois sédentaire, voire frileuse dans ses sujets et ses méthodes. Affectionnant les espaces de plein vent, où l'Europe du XVIe siècle cherche à étendre sa puissance par-delà les mers, fasciné par les scènes sanglantes de l'histoire, celle qui se joue dans les feux et les fers d'une France déchirée, il nous mène d'île en île, d'un texte à l'autre, sur les traces de ses auteurs de prédilection.
Le volume que lui offrent ses collègues, ses élèves et ses amis, spécialistes de littérature française ou comparée, d'histoire ou de géographie, entend rendre hommage à la richesse et à la diversité de son oeuvre critique, ainsi qu'à son énergie sans pareille au service des études seiziémistes. Rassemblés autour des quatre centres d'intérêt majeurs de la recherche de Frank Lestringant - les récits de voyage, la cosmographie, la littérature des religions, les pratiques d'écriture -, ces mélanges sont autant de témoignages d'amitié, d'admiration et de reconnaissance.
En décembre 2019, puis au cours de l'année 2020, en mars, juste avant le début de la pandémie, puis en août, enfin en décembre, Max Engammare a eu la chance insigne, mais travaillée, de découvrir quatre livres latins de Calvin, annotés par lui et par deux secrétaires, dont son frère Antoine : l'Institution de la religion chrétienne (1559), le commentaire sur les Psaumes (1557), la seconde version du commentaire sur Esaïe (1559) et le commentaire des Épîtres pauliniennes (1556). À côté de son travail chez Droz, il a donc mené l'enquête, retrouvé les premiers acheteurs, dont Jean Crespin, puis entrepris la rédaction de ce livre. Le lecteur découvrira, pour la première fois, comment Calvin travaillait, comment il corrigeait ses livres essentiels, pour laisser à la postérité, dans un geste humaniste généralisé - et l'on pense à Érasme ou à Montaigne et à bien d'autres - une oeuvre affermie et lissée, débarrassée quasi de toute scorie. Quelques inflexions de sa pensée théologiques et quelques éclaircissements bienvenus se laissent saisir. On entre ainsi dans ce que l'auteur appelle la Fabrique Calvin, car le Réformateur a mis en place trois ateliers de rédaction et des stratégies pour que rien de son activité intellectuelle et spirituelle ne se perde. Toutes les annotations importantes sont données et traduites, alors que les 104 annotations dans son exemplaire de la dernière version latine de l'Institution de la religion chrétienne sont notées, annotées et traduites en annexe.
Trois décennies après la fin de la République démocratique allemande (RDA), sa vie musicale reste très mal connue dans le monde francophone. Conçue comme un outil idéologique au service de l'URSS, elle se distinguait par un nationalisme sourcilleux, par la valorisation d'un esprit conformiste et par une surveillance permanente que la STASI opérait sur les musiciens. Des personnalités ou des institutions telles que Kurt Masur, Theo Adam et Peter Schreier, l'Opéra d'État de Berlin-Est ou l'Orchestre du Gewandhaus de Leipzig n'y échappèrent jamais.
Ce livre a été écrit à la suite de dizaines d'entretiens et de longues recherches entreprises en 2012 dans des fonds d'archives. Il comporte quantité d'informations inédites sur une activité débordante. Celle-ci incluait l'art lyrique, la musique de chambre, la musique symphonique, la musique sacrée, la création contemporaine, les tournées à l'étranger, l'industrie du disque. L'ouvrage prend aussi en considération la Réunification allemande et ses lourdes conséquences pour l'éphémère RDA...
Les débuts de la représentation du Christ sont mal connus. Ils ont surtout été problématiques et son histoire renseigne sur des transformations qui vont au-delà des images. Ce livre en suit l'évolution dans les premiers siècles du développement des images chrétiennes. Il s'efforce de comprendre une diversité inattendue et une évolution qui conduit du début du IIIe, à Rome, jusqu'au Xe siècle à Byzance. Le développement du christianisme est lié à la profonde transformation du monde romain. Les images chrétiennes, celles du Christ en particulier, donnent des éclairages sur les modalités de cette évolution et permettent de voir une radicale transformation dans la manière de percevoir les images et de comprendre le monde. Le christianisme aussi a évolué : les images ne sont, dans les débats sur le Christ, ni absentes, ni passives, mais y contribuent à travers leurs commanditaires qui, pour ne pas représenter une voix officielle de l'Eglise, n'en sont pas moins informés.
Alain Dufour publie la Correspondance de Théodore de Bèze depuis 1962. Ce fidèle compagnonnage avec le successeur de Jean Calvin le désignait plus que quiconque pour signer une «Vie de Bèze» qui mène du Paris de François Ier où le jeune humaniste écrivit ses Juvenilia parfois religieux et souvent licencieux, à Lausanne et à Genève, où, à la suite d'une crise religieuse très intense (1548), le poète se fit réformateur. On le voit combattre les papistes, mais aussi les luthériens, rompre des lances en faveur de la prédestination, inspirer l'organisation et la vie des églises réformées de France et d'ailleurs, en écrire l'histoire aussi, sans cesser de faire des vers dès qu'il en a le loisir. Un chapitre est consacré à la poésie et à l'image (autour des Icones et des Emblemata), pour rappeler que Bèze n'a cessé d'être un poète, jusqu'à la fin de ses jours, avec le sens très vif de l'image, de même qu'il a été historien et théologien, n'ayant de cesse de comprendre le monde et sa propre existence comme le théâtre de la Providence.
L'édition du Jeu de saint Nicolas par Albert Henry « réussit à fournir en un minimum de pages l'essentiel et plus de ce qui pouvait être rassemblé sur le texte, sur ses supports - le manuscrit BnF, fr. 25566, le vers, la langue de l'auteur -, sur ce qu'on peut reconstituer de la mise en scène, sur Jehan Bodel, sur la place du Jeu dans l'oeuvre de celui-ci et dans l'histoire littéraire, ainsi que sur toutes les éditions et les travaux critiques dont cette pièce a été l'objet. Au-delà de la collation d'un abondant matériau, il y a la synthèse, car l'établissement du texte et les notes qui l'accompagnent sont nourris des études antérieures ainsi que d'une réflexion sur les relations entre les diverses composantes du texte [...]. S'y ajoutent les multiples éclaircissements fournis dans les notes sur l'intelligence de points particuliers. Le matériau proverbial, enfin, est rassemblé à part, pourvu des renvois utiles à [l'édition] Morawski ou à des textes médiévaux.
Somme donc que cette édition qui, dans des limites matérielles restreintes, fournit, avec le texte reconstitué dans son authenticité, tous les moyens d'approche souhaités de celui-ci ».
Nelly Andrieux, « Notes de lecture », Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, tome 148, 1982.
« La matière demeure et la forme se perd », écrivait Ronsard. C'est partout, au XVIe siècle, la même fascination pour le transitoire et le protéiforme, la même effervescence vitaliste et naturiste, le même regard porté sur la gestation de formes issues du chaos, la même attirance pour les naissances confuses.
La tache de Léonard, les grottes artificielles de Palissy, l'inachèvement programmé de grandes oeuvres comme celles d'Erasme, de Rabelais, de Ronsard ou de Montaigne, disent en autant de variations le triomphe de la métamorphose.
Au rebours des principes d'ordre, d'harmonie et de maîtrise d'ordinaire associés à la culture de la Renaissance, ce livre explore l'envers mouvant et dionysiaque d'une époque placée sous le signe de l'instabilité. La flexibilité de la littérature et de l'art au XVIe siècle est replacée dans un contexte large, qui va des théories de la Création, de celles de la cosmologie, de la biologie et de la géologie à la conception de l'homme et au sens de l'histoire.
Perpetuum mobile constitue une magnifique initiation à la culture d'un siècle ondoyant et divers, qui ressemble au nôtre par l'inquiétude et le sens de l'inaccompli.
Frank Lestringant
La tératologie, au sens moderne du terme, est la science des monstres ; à la Renaissance, il s'agissait plutôt de la discipline qui traite des prodiges. Jean Céard, historien de la culture de la Renaissance, étudie dans ce livre, devenu un classique, par quelles voies la tératologie a changé d'objet. A la fois merveille et présage, le monstre conduit l'auteur à définir le concept de signe et à analyser l'importance de la divination à la Renaissance ainsi que la notion fondamentale de la variété des choses : il écrit ainsi quelques chapitres de cette histoire de la représentation de la nature à la Renaissance dont les historiens ont coutume de déplorer l'absence. Il renouvelle du même coup la connaissance de grandes oeuvres littéraires comme il traite de l'abondante littérature des « canards ». Jean Céard propose enfin la première étude globale de la matière si disparate de l'histoire prodigieuse.
Cette édition comprend des annexes très curieuses et très utiles pour comprendre le phénomène des précieuses et la critique qu'en fait Molière. L'originalité du chef-d'oeuvre comique se profile d'autant mieux sur la toile de fond d'une abondante documentation.