Au soir du 1er décembre 1934 - jour de l'assassinat du chef du Parti de Leningrad, Sergueï Kirov -, Staline ordonne d'élargir et d'accélérer la répression de tous les suspects de la « préparation d'actes terroristes ». Le signal de la plus gigantesque répression policière du XXe siècle est donné. Pendant quatre ans, des milliers de responsables du régime soviétique vont être arrêtés, emprisonnés et souvent exécutés. La liquidation de tous les anciens opposants à Staline va s'étendre, par cercles concentriques, à la majeure partie des cadres dirigeants. Les accusés, soumis à des procès publics, avoueront unanimement les crimes les plus abominables et les plus invraisemblables. Une fraction notable de l'opinion internationale quant à elle se cantonnera dans une expectative prudente, voire s'aveuglera sur ces mascarades judiciaires. Nicolas Werth retrace ici, parallèlement au récit mouvementé des « grands procès », la genèse et la dynamique de ce moment paroxystique de la logique totalitaire. Il le fait en tenant compte des données nouvelles et des discussions historiques récentes. Au-delà des banalités sur le culte de Staline ou des généralités sur le totalitarisme, l'auteur apporte des clefs d'interprétation qui permettent de mieux cerner cette période tragique.
En France, le jeu de séduction réciproque galant développé à la Cour dès le règne de François Ier définit l'homme comme séducteur, actif, au contraire de la femme séduisante, passive, créant lentement pour les privilégiés une illusion d'harmonie relative entre les sexes. Paris, reine du monde érotisée, produit en contrepoint les conditions nouvelles d'une séduction féminine capitale, longtemps diabolisée sous les traits de la femme fatale opposée à l'épouse chaste et obéissante, avant de s'apaiser, depuis les années folles, à travers le mythe de la Parisienne au charme exceptionnel.
Les XIXe et XXe siècles connaissent pourtant subrepticement un retour en arrière misogyne, issu d'une réactivation laïque de l'antiféminisme, car pour les bourgeois triomphants le seul rôle féminin décent est, éternellement, celui de conjointe et de mère. À notre époque, le vieux modèle paternaliste fondé sur la primauté multiséculaire du mariage hétérosexuel a volé en éclats. Les femmes affirment de plus en plus leur part de séduction, au point d'engendrer un grand malaise parmi les nouvelles générations masculines, qui n'en possèdent plus le privilège.
Utilisant des productions marquantes - oeuvres littéraires, films, bandes dessinées -, pour repérer les théories et les pratiques, Robert Muchembled convie lectrices/lecteurs à une délectable plongée dans le passé, à la découverte des extraordinaires métamorphoses de la séduction amoureuse : une grande passion française constitutive de l'identité nationale, engagée depuis les années 1970 dans une nouvelle mutation décisive sous le souffle des aspirations libératrices de la féminité.
Sur fond de retour de la guerre en Europe, ce livre d'entretiens retrace la trajectoire intellectuelle de l'historien Stéphane Audoin-Rouzeau, dont l'oeuvre a contribué à transformer notre vision de la Première Guerre mondiale et à renouveler en profondeur notre approche du fait guerrier et des violences combattantes.
Dialogue à bâtons rompus entre deux spécialistes, laissant apparaître accords et désaccords, La Part d'ombre souligne la difficulté pointée par Stéphane Audoin-Rouzeau à regarder la guerre de près et bien en face. Interrogeant nos seuils de tolérance, nos refus de voir, nos aveuglements comme nos illusions les plus tenaces, il éclaire d'un jour très cru tout ce qui alimente notre déni occidental face à la violence de guerre, à ses atrocités, alors que, jour après jour, leurs images font le tour du monde.
Le bonheur tient à peu de choses. Il se cueille au jour le jour dans les parterres fleuris du beau jardin, millénaire, de la sagesse épicurienne. Le philosophe grec Épicure (340-270 avant J.-C.), mais aussi les grands poètes qu'il a influencés, Horace, Lucrèce, Virgile, bien d'autres encore, jusqu'à la Renaissance et au-delà, promettent le bonheur pourvu que nous sachions nous contenter de sobres plaisirs.
Charles Senard, au fil des chapitres, les égrène : conversations amicales, amour et poésie, campagne charmante, bons vins, trésors des souvenirs. La philosophie épicurienne est l'un d'eux, d'autant plus précieux qu'il est fragile : beaucoup de ses grands textes ont disparu, plusieurs ont été sauvés in extremis, déchiffrés dans les rouleaux carbonisés, patiemment dépliés, d'une bibliothèque d'Herculanum.
Dans ces pages légères et profondes, l'auteur propose une initiation poétique à une philosophie source d'inspiration quotidienne.
« Une excellente manière de te défendre d'eux, c'est d'éviter de leur ressembler. » VI, 6
« Sur l'immense passé de la Méditerranée, le plus beau des témoignages est celui de la mer elle-même. Il faut le dire, le redire. Il faut la voir, la revoir. Bien sûr, elle n'explique pas tout, à elle seule, d'un passé compliqué, construit par les hommes avec plus ou moins de logique, de caprice ou d'aberrance. Mais elle resitue patiemment les expériences du passé, leur redonne les prémices de la vie, les place sous un ciel, dans un paysage que nous pouvons voir de nos propres yeux, analogues à ceux de jadis. Un moment d'attention ou d'illusion : tout semble revivre. »
On l'a compris. Ce livre est le fruit d'un vieil amoureux de la mer Intérieure qui en dévoile pour nous les balbutiements enrichis d'un savoir encyclopédique. L'historien des grands espaces et des longues durées apporte son métier et sa vision à la Préhistoire et aux antiques civilisations qui, jusqu'à l'accomplissement de la conquête romaine, ont bordé et fait la Méditerranée.
D'où une vision très libre et stimulante de ces civilisations dans leur milieu géographique, les mouvements de leurs populations, les conflits qui opposent nomades et sédentaires, l'interminable évolution technique de la domestication du feu à l'écriture, et la mise en situation de chaque grande réalisation culturelle des premiers moments de vie en Mésopotamie à l'épanouissement de la civilisation romaine...
Des pages qui, à travers les peintures de mégalithes, de pyramides, de temples grecs ou de basiliques se découpant dans une lumière d'azur, nous renvoient l'image d'un passé éternellement présent.
« Nous voici retournés au coeur des contradictions qui rendent cette histoire décisive. Parce que les Grecs se sont posé les questions que nous n'avons cessé de retrouver depuis. Parce qu'ils ont consigné avec une clarté sans pareille les différentes réponses possibles. Qu'ils ont analysé avec minutie les tenants et aboutissants des cas de conscience dont seraient tissés pour toujours nos débats politiques. Ils ont eu le génie de donner aux événements de leur histoire une portée universelle en dégageant ce qui relève, dans leurs causes, des permanences de la nature humaine ; ce qui tient, dans leurs conséquences, des lois de la politique. »
Parcourant le Ve siècle grec, des origines des guerres médiques à la fin de la guerre du Péloponnèse, Michel De Jaeghere ne se contente pas ici de faire le récit frémissant de cet apogée de la civilisation hellénique. Il a suivi à la trace les débats, les dilemmes, les conflits inhérents à la naissance du patriotisme, de sa dilatation dans le panhellénisme à sa caricature en volonté de puissance, et de l'échec tragique auquel la tentation de l'impérialisme avait conduit Athènes, aux crises de sa démocratie. Fidèle à la méthode inaugurée dans son Cabinet des antiques (Les Belles Lettres), il prend appui sur Hérodote, Thucydide, Isocrate, Platon, quelques autres, pour faire dialoguer les textes antiques avec notre propre histoire et tenter de dégager, dans l'expérience des Grecs, ce qu'ils ont à nous dire d'essentiel, de vital sur nous-mêmes. L'histoire du grand siècle d'Athènes en sort comme rajeunie.
Aux centaines de livres intitulés Socrate, quel est l'intérêt d'en ajouter un ? Simplement parce que celui-ci le regarde autrement, tentant de le saisir en même temps que sa cité. En ajoutant « l'Athénien » à son nom, son titre fait allusion à ce regard nouveau ; d'un mot, il s'agit d'aller de lui à son monde et retour. Mais pourquoi lui ? Parce qu'il a vécu dans la seconde partie du Ve siècle à Athènes, parce que la cité offre sur sa propre histoire la plus riche quantité de sources et parce que, plus qu'un autre, il fut décrit par ses contemporains et leurs successeurs : étudier le Socrate d'Athènes, c'est jouir d'un trésor inégalé d'informations.
Mais on ne fait pas d'histoire sans question et, dans ce face à face, c'est Athènes qui l'emporte. Cet ouvrage n'est ni un livre de philosophie ni une biographie, ses fins ne sont pas son procès, sa mort. Toute révérence gardée, je me sers de Socrate comme d'un révélateur, un réactif. Ne jamais le regarder sans son contexte - qui me l'explique -, m'aidant à faire de sa cité un portrait, certes fort partiel, mais plus juste. Ce livre jette sur ce transfert d'intérêt trois éclairages analytiques majeurs : lui et ses relations (la société ); lui vivant, s'y mouvant (son corps - le sens qu'il lui donne et son image) ; lui et sa conception, son usage du surnaturel : quelles croyances, quelle piété chez lui et les Athéniens ?
Le « théologico-politique », c'est l'idée selon laquelle au « fond » des choses politiques, il y a toujours quelque chose de religieux : quelque chose ayant à voir avec notre rapport au sacré. Même à l'heure où la politique moderne s'est « sécularisée » (séparée des pouvoirs religieux) et où les références religieuses, parfois présentes en elle, ont infiniment moins de poids que par le passé, la pensée théologico-politique est formelle : le fond de l'affaire serait encore et toujours « religieux ».
Depuis une trentaine d'années, le théologico-politique est en plein triomphe dans la philosophie contemporaine. Très au-delà de la mode « Carl Schmitt », c'est une vague qui passe par Giorgio Agamben, Charles Taylor, le dernier Jürgen Habermas, le dernier Richard Rorty... et qui fait revivre, aussi, certaines oeuvres du passé : celles de Jacob Taubes et d'Eric Voegelin, ou certains écrits de Karl Jaspers. Toute une myriade d'auteurs contemporains la nourrit (Gianni Vattimo, Marcel Gauchet, Luc Ferry...), non sans échos à un air du temps général (dont témoigne, par exemple, le succès des thèses de René Girard).
Alors que l'histoire politique moderne avait fini par accomplir le désir de Spinoza d'une rupture avec le théologique - désir formulé dans son Traité théologico-politique de 1670 -, voilà que le théologique est à nouveau présenté comme le secret caché du politique. Et c'est d'autant plus troublant que les années 1960 et 1970 avaient énergiquement combattu la tentation d'affirmer, dans les choses politiques, une détermination « en dernier ressort », de quelque nature que ce soit.
Le théologico-politique, aussi « renouvelé » soit-il aujourd'hui, est une imposture. Une démesure de la pensée, qui force les réalités politiques pour imposer sa « thèse ». Et ce triomphe parle non des choses politiques, mais de la philosophie. De ses désirs à elle, rarement tout à fait éteints, d'atteindre une toute-puissance théorique, c'est-à-dire un savoir total sur l'histoire : sur sa direction, sur sa véritable « ressource », sur son prétendu « fond ».
Voilà ce que montre ce livre. Mais il propose aussi une enquête : pourquoi cette quête de toute-puissance théorique a-t-elle resurgi, à ce moment-là de notre histoire philosophique et de notre histoire tout court ?
S`il est vrai qu'à ses débuts la Révolution russe de 1917 a pu se parer des apparences d'une émancipation du peuple juif, il n'en demeure pas moins que, sous Staline, le vieil antisémitisme a toujours été complaisamment alimenté, couvé, tel une lame de fond prête à refaire surface à la moindre occasion.
Vaksberg retrace les différentes étapes de la discrimination des Juifs et de leur persécution : l'établissement par la Grande Catherine de l'« aire de sédentarisation » (les juifs ne pouvaient résider que dans certaines provinces de l'Empire), la politique d'exclusion des différents tsars au cours du XIXe siècle, jusqu'à l'organisation des pogromes massifs par Nicolas Ier et Nicolas II, puis la vague d'espoir suscitée par la chute de la monarchie.
Dès la prise du pouvoir effective par Staline, l'attitude envers les juifs sera marquée d'une grande ambiguïté qui virera progressivement à une politique ouverte de persécution, menée sous le prétexte d'un combat « antinationaliste ». L'apogée de ce mouvement de balancier sera atteint après la guerre, avec l'ass assinat du grand acteur Mikhoels, puis le tristement célèbre complot des « blouses blanches » : des médecins du Kremlin, pour la plupart d'origine juive, censés avoir comploté pour assassiner Staline, dont le procès - on le sait aujourd'hui - devait servir de prélude à une grande vague de persécutions antisémites.
La vie du Père Joseph (1577-1638), surnommé par ses détracteurs « l'éminence grise du cardinal de Richelieu » dont il était ministre, est un saisissant paradoxe.
Le jour, ce chef de redoutables services spéciaux dirige les opérations sur le champ de bataille. Son exercice impitoyable du pouvoir réussit à prolonger les horreurs de la guerre de Trente Ans.
La nuit, ce fondateur d'un ordre de religieuses contemplatives prie ou compose des poèmes.
Pourquoi Aldous Huxley, le romancier de Contrepoint et du Meilleur des Mondes, s'est-il fait le biographe de ce prodigieux méconnu, mélange de Talleyrand et de saint Jean de la Croix ?
Parce que, dit-il, « la création d'un tel homme dépasserait le génie de n'importe quel artiste littéraire ». Certainement aussi parce que le Père Joseph, politicien mystique, s'est vu, le jour comme la nuit, en bâtisseur d'un monde meilleur...
« J'ai tenu ce journal au début des années 2020, quand on pouvait encore faire la différence entre la parole et la communication. Mais déjà, dans beaucoup de situations, on n'y voyait plus très clair. » Psychanalyste de métier, Yann Diener relève dans le langage courant des mots et des expressions venus du jargon informatique : « Pendant toute mon enfance j'ai fait l'interface entre mes parents » ; « Je suis déconnecté de ma famille » : ces termes n'étaient utilisés que par des informaticiens il y a seulement quelques années. L'auteur tente de mesurer les conséquences individuelles et collectives de ce glissement de la parole vers le langage machine, lequel est fondé sur un codage binaire. Digicodes, codes de messageries, mots de passe, cryptogrammes, QR codes : nous passons beaucoup de temps à « saisir » des codes, et à en parler. Et quand nous utilisons nos ordinateurs et nos téléphones, nous ne remarquons plus que nous faisons « tourner » des lignes de code. Dans LTI, Victor Klemperer montrait comment la mécanisation de la langue allemande avait permis de mécaniser la pensée et les actes ; l'enquête de Yann Diener montre avec précision comme l'informatisation du langage rend notre pensée toujours plus binaire.
Au carrefour de l'Orient et de l'Occident, passerelle jetée entre l'Europe et l'Asie, la Turquie occupe une position clé au Moyen-Orient et en Asie centrale. Elle ne représente aujourd'hui qu'une faible partie de l'Empire ottoman qui, jusqu'à la Première Guerre mondiale, s'étendait encore de l'Adriatique à l'Arabie méridionale. Au cours du XXe siècle, grâce à Mustafa Kemal, le pays passe en quelques années du stade d'État islamique multinational à celui d'une république laïque résolument ouverte vers l'Occident. La Turquie a accompli une incroyable révolution politique, sociale, économique et culturelle, où se conjuguent tradition et modernité.
Barbares aux yeux des Grecs et des Romains, figures poétiques pour les Romantiques, héros nationalistes chez les historiens du XIXe siècle, les Gaulois gardent pour nous un certain mystère. Leur brillante civilisation, épanouie seulement en quelques siècles, a été submergée par celles de ses voisins, peut-être parce qu'elle en était trop proche. Grâce aux sources littéraires antiques et aux résultats les plus récents de l'archéologie, c'est à une redécouverte des Gaulois que ce guide convie.
Angkor fascine : ce nom évoque une ville superbe aux temples impressionnants, enfouie au coeur d'une forêt dense, impénétrable, dévorée par la sylve et révélée à l'Occident au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. De nombreuses capitales se sont succédé là du IXe au XIIIe siècle. OEuvres royales par excellence, intrinsèquement liées à l'exercice du pouvoir, elles illustrent le prestige des souverains, artisans de la grandeur de l'empire khmer.
Mais ces vestiges majestueux revêtus de leur gangue végétale, ornés des délicates sculptures des apsaras, gardiennes hiératiques des sanctuaires, conservent une grande part de leur mystère. Que sait-on de leurs bâtisseurs, rois et dignitaires, et de la vie qu'ils menaient dans les villes et les habitations édifiées autour de ces temples ? Comment se déroulaient les journées du roi ? Nous ignorons beaucoup de ses obligations, de ses divertissements. À quoi ressemblaient son palais, les objets du quotidien, les détails ordinaires de la vie courante ?
Autant de questions auxquelles cet ouvrage apporte des réponses documentées au terme d'une longue et minutieuse enquête au cours de laquelle l'auteur a scruté les bas-reliefs, décortiqué les inscriptions et interrogé les monuments et les statues. Le roi, ses proches et son peuple reprennent vie et retrouvent désormais leur place à Angkor dans leur environnement familier.
L'homme est-il assez fort pour supporter la liberté ? Peut-il affronter les dangers et la responsabilité qu'elle induit ? Car la liberté est avant tout un problème psychologique. Erich Fromm, par son analyse magistrale des origines psychanalytiques du totalitarisme, fait la lumière sur les forces qui façonnent la société moderne. Si l'avènement de la démocratie a apporté la liberté, elle a donné naissance à une société dans laquelle l'individu se sent aliéné et déshumanisé. L'homme moderne, dégagé des liens de la société primitive, qui le limitaient, mais le rassuraient, n'a pas encore pleinement conquis son indépendance. La liberté provoque en lui un sentiment d'isolement qui engendre à son tour l'insécurité et l'angoisse. Il met alors en place des mécanismes de fuite : l'autoritarisme, la destructivité ou un conformisme d'automate.
« Telle est la sombre grandeur proposée désormais à l'historien contemporain : consacrer ses efforts à discréditer les auteurs anciens en montrant à quel point ils avaient été tributaires de leurs aveuglements ; souligner les lacunes, la myopie, l'extravagance de leurs jugements ; débusquer préjugés de classe et stéréotypes de genre ; dresser l'inventaire, la généalogie de leurs successives réinterprétations par chaque génération. Tenir en revanche leurs oeuvres pour un réservoir d'exemples, de modèles, de situations utiles pour guider notre réflexion, comme le recommandait Plutarque, les considérer même comme des chefs-d'oeuvre d'une "inaltérable actualité", parce qu'ils "savent dire ce que l'homme a d'humain" serait rester à la surface des choses, "dans l'éther de la culture classique". Se flatter de poursuivre avec ces vieux morts un dialogue que nos différences et notre éloignement relèguent au rang de vain songe relèverait de la naïveté, de l'amateurisme et de l'outrecuidance. J'ai écrit ce livre parce que je pense tout le contraire. » Répudiant tout anachronisme simplificateur, mais refusant aussi de considérer le legs de l'Antiquité comme une beauté morte, inféconde, Michel De Jaeghere mobilise sa formation d'historien des idées, sa longue fréquentation des auteurs antiques, et sa familiarité avec la politique contemporaine pour affronter une redoutable question : les Anciens sont-ils, en politique, encore de bon conseil ?
Suivre « pas à pas » et « avec franchise » toute la série de ses études : c'est précisément ce que Vico (1668-1744) se proposait de faire dans son autobiographie Vie de Giambattista Vico écrite par lui-même, parue en 1728.
Mais, parce que placée dans la perspective de la polémique contre la diffusion du cartésianisme à Naples, cette reconstruction a posteriori eut pour effet de léguer une image du penseur toute orientée vers un but : la conception de la Science nouvelle.
Rompant avec cette artificielle perspective, Raffaele Ruggiero raconte une autre histoire de Vico. Il rend leur pleine autonomie à toutes les expériences intellectuelles du savant penseur : sa formation, ses études juridiques, son engagement littéraire, son invention d'une nouvelle rhétorique de la science. Il révèle la multiplicité des inspirations culturelles qui ont façonné sa physionomie unique de philosophe et d'écrivain, et l'articulation complexe de ses intérêts scientifiques destinés à remodeler l'encyclopédie des savoirs à l'aube de la modernité.
Convoquant toutes ses oeuvres, le replaçant dans son contexte, celui d'un protagoniste de la République des Lettres à l'époque des Lumières, Raffaele Ruggiero expose le rapport ambigu et passionnant de Vico à ses sources et à ses fantômes polémiques.
o Un panorama mondial qui envisage les céréales et pseudocéréales dans leur rapport à la sédentarisation de l'humanité, à l'évolution des différentes civilisations depuis le Néolithique, et à l'avenir de nos relations avec toutes les formes du vivant.
o Une étude concrète et abondamment illustrée des différentes espèces de céréales et de leurs usages
o Une source de réflexions sur les réponses que les céréales peuvent apporter aux défis alimentaires, environnementaux et spirituels des générations de demain
o Une mise en perspective de la portée symbolique et religieuse des céréales à travers les époques et les civilisations
o Un compte-rendu complet des échanges biologiques et technologiques qui se sont succédé jusqu'aux enjeux actuels de la mondialisation
o Une approche transdisciplinaire, qui combine l'expérience de terrain et les connaissances complémentaires d'Alain Bonjean, généticien des plantes, et Benoît Vermander, enseignant en sciences sociales et religieuses.
Cet ouvrage retrace la longue histoire des interactions entre l'Homme et les céréales. Depuis les premières tentatives de domestication jusqu'aux applications agronomiques les plus contemporaines de la génomique, depuis les gestes de partage qui scandent le quotidien jusqu'aux rituels agraires les plus élaborés, Alain Bonjean et Benoît Vermander dévoilent la diversité des espèces productrices de grain et celle des sociétés qui s'organisent autour de leur culture. La domestication des orges, exemplaire du travail poursuivi entre la nature et l'humanité ; la naissance des blés dans le croissant fertile, leur introduction en Europe puis dans le monde entier ; la précoce mise en valeur des millets et l'exubérance du répertoire mythique qui les accompagne ; les transferts et les drames qui ont marqué l'échange colombien, depuis l'introduction du maïs en Europe jusqu'à celle de techniques culturales africaines en Amérique du Nord ; le répertoire élaboré des riz asiatiques et des rituels associés ; la diversité maintenue des céréales africaines, celle des espèces andines trop longtemps négligées, gage d'espoir pour l'humanité... Telles sont quelques-unes des étapes de ce livre, qui ouvre des perspectives inédites sur les rapports entre l'homme et le végétal et sur les crises qui marquent aujourd'hui pareille relation.
Maurice Garçon (1889-1967) fut l'un des plus grands avocats de son temps.
De 1912 à sa mort, il a consigné presque chaque soir les événements, petits et grands, dont il était le témoin ou l'acteur.
Ce premier volume de son journal inédit couvre, parfois heure par heure, la guerre, la défaite, l'Occupation et la Libération. À cinquante ans, l'avocat est alors au sommet de son art. Dans ces chroniques, il révèle aussi des qualités d'observation et un talent d'écriture enviables. Il y a du Albert Londres chez Maurice Garçon. Curieux de tout, il sillonne Paris et la province, furète, recoupe, rédige, avec le mérite constant, et rare, de s'interdire toute réécriture : c'est un premier jet qu'on lit sur le vif.
Maréchaliste de la première heure, il fait volte-face à l'armistice et, après le vote des pleins pouvoirs à Pétain, ne cessera plus de fustiger « le Vieux ». Fureur patriote, chagrin sans pitié, colère, espoir, désespoir. Honte de la collaboration. Virulence contre les nouvelles lois de Vichy. Son journal déborde. Portraits, anecdotes, détails méconnus foisonnent.
Croisées au Palais de justice, les figures du barreau, souvent têtes d'affiche de la politique, deviennent familières. Maurice Garçon connaît tout le monde, est de tous les grands procès, des dossiers criminels aux affaires politiques.
Ses plaidoiries érudites ont fait de lui, dès avant guerre, un avocat littéraire, voire mondain, futur académicien. Toute une galerie de personnalités en vue défile dans ses pages, écrivains, peintres, comédiens, éditeurs.
Nous voici conviés à une ahurissante traversée des années noires, histoire immédiate haletante.
Pascal Fouché est historien et éditeur.
Pascale Froment est journaliste et écrivain.
À quel point comprenons-nous vraiment l'Allemagne ? Comment les Allemands eux-mêmes comprennent-ils leur histoire ? L'Allemagne est un cas unique, nous avertit Neil MacGregor : il est impossible d'en dresser un récit historique cohérent et linéaire, tant sa géographie et son histoire ont toujours été instables. Ses frontières furent constamment mouvantes, et pendant les presque cinq siècles dont traite ce livre, l'Allemagne a été constituée d'unités politiques indépendantes, ayant chacune son histoire propre. Et tout récit national que les Allemands auraient construit avant 1914 fut détruit par les événements des trente années suivantes. Si l'histoire allemande est par essence fragmentée, elle recèle un grand nombre de mémoires, de sensibilités et d'expériences largement partagées ; en examiner quelques-unes est l'objectif de ce livre.
Neil MacGregor choisit objets et idées, hommes et lieux qui résonnent encore aux oreilles des Allemands d'aujourd'hui pour dresser le portrait passionnant d'une nation et d'un peuple.
De la porcelaine aux ruines de Dresde, en passant par le design du Bauhaus, la saucisse, la couronne de Charlemagne mais aussi les portes de Buchenwald, c'est à une plongée sans précédent dans l'imaginaire collectif allemand que nous invite Neil MacGregor.
L'un des rares « hommes de libéralité » dans une « époque de bigoterie » selon Waldo Emerson, « premier homme complètement moderne » selon Leonard Woolf, Montaigne a marque l'histoire de la pensee liberale.
Certes, les Essais ne sont ni un ouvrage de philosophie politique ni un ouvrage d'economie. Mais la mutation anthropologique et morale qu'ils annoncent aura des effets dans ces deux domaines. Leur valorisation d'une ethique centree sur l'autonomie et l'expression de soi, leur critique des diverses modalites d'autoritarisme et de domination, la cesure, souvent conflictuelle, qu'ils instaurent entre l'homme prive et les offices publics, conduisent a une réévaluation de la fonction et des limites des institutions politiques, faisant, pour reprendre la formule de Tocqueville, d'« une sorte d'egoisme raffine et intelligent [...] le pivot sur lequel roule toute la machine ». La définition de cet égoïsme vertueux constitue une réponse aux défis du temps provoqués par la crise de l'humanisme, la découverte d'un nouveau monde, mais aussi des brutalités qui ont accompagné sa conquête, et avant tout la guerre civile engendrée par les conflits confessionnels.
Partant des réflexions de Montaigne sur la relation à soi-même et aux autres, Thierry Gontier en analyse les conséquences morales et politiques. Il fait dialoguer les Essais avec quelques-unes des grandes philosophies de notre temps autour du libéralisme (Arendt, Rawls, Habermas, Derrida, Taylor, etc.) pour décrire ces modèles alternatifs de refondation du social que sont l'amitié et la conférence.
Frugales croustilles ou bamboches délirantes, les repas de l'Antiquité ont la saveur de la pensée joyeuse, celle qui vient en mangeant. L'important est de savoir le faire ensemble car tel est le sens du mot convivium en latin. Quand l'art des mots se combine avec l'art des mets, le plaisir et l'intelligence se dégustent sans modération : Platon, Sénèque, Ovide, tous les plus grands auteurs grecs et romains ont écrit des propos merveilleux sur leurs tablées, privées ou publiques. D'autres moins connus, comme l'évêque Venance Fortunat ou Méthode d'Olympe, ont trouvé l'inspiration pour nous régaler de pages exquises et inattendues sur le bonheur coupable et délicieux de la chère. Cette Bibliothèque idéale réunit le meilleur de quinze siècles de propos et de pratiques de table, nous faisant goûter l'évolution et le raffinement inouïs atteints durant la période païenne mais aussi sa condamnation à l'ère chrétienne. Surtout, elle nous invite à interroger nos manières et notre convivialité, notre savoir-vivre, qui se confond bien souvent avec savoir manger. Apprenti gastronome et gourmet confirmé, affamé de traits d'esprit ou gourmand de grands discours, chacun est invité à déguster les mets et les mots de l'Antiquité : venez comme vous êtes, vous serez bien accueillis !
Les hôtes de marque pénètrent dans la majestueuse salle à coupole du palais de la Magnaure. L'empereur byzantin les reçoit, assis sur un trône d'or, couronné de pierreries, chaussé de pourpre et richement vêtu. Derrière lui, semblent rugir des lions dorés. Le maître de l'Orient est entouré de sa cour. Le Xe siècle marque assurément l'apogée de l'empire romain d'Orient qui perdura un millénaire, à l'époque même où l'Occident vivait ce que les hommes de la Renaissance ont appelé le Moyen Âge. Témoin de ce siècle et de ses hommes, l'empereur Constantin VII Porphyrogénète (913-959), nous a laissé un document exceptionnel : le Livre des Cérémonies. Cet ouvrage unique brosse le tableau des fastes de la cour impériale, à cette époque la première puissance de la chrétienté. Michel Kaplan nous ouvre les portes de ce monde quelque peu irréel et nimbé de gloire, où brillent l'or et la pourpre. Il nous rend accessible la description des cérémonies, de l'idéologie politique de l'Empereur devenu lieutenant de Dieu sur terre, des courtisans, avant tout des fonctionnaires civils et militaires, animant ce pouvoir, mais aussi de la vie quotidienne du palais impérial comme de la capitale, la légendaire et remuante Constantinople.