Pour saisir l’évolution politique de la France, les résultats locaux des élections sont essentiels. Leur extrême variabilité géographique semble un défi à leur compréhension. Grâce à des cartes précises qui resituent l’électeur dans son proche milieu plutôt que seulement dans une classe sociale, cet ouvrage ambitieux montre que les variations locales de l’opinion obéissent souvent à une logique historique de longue durée qui se déroule généralement en trois stades : apparition d’une nouvelle opinion à cause d’un évènement singulier, propagation sur un terrain préexistant, limitation par les territoires des opinions rivales. Au fil des pages, Bonnets rouges, Gilets jaunes, partisans de Chasse, pêche, nature et traditions (CPNT), mais aussi du Rassemblement national, du Parti communiste, de la droite et de la gauche se mettent en place dans l’espace français. Alors s’éclaire l’épuisement actuel de l’opposition de la droite et de la gauche, comme les tentatives de remplacer cette opposition, qui puisent dans un passé plus ancien, structuré par des régularités géographiques. Ce qui est souvent présenté comme une histoire progressive est ainsi doublé par une histoire à l’envers, par la réapparition de clivages passés souvent très anciens
Hervé Le Bras est historien et démographe, directeur d’études à l’EHESS. Il a notamment publié Marianne et les lapins : l’obsession démographique (Hachette, 1992) et Naissance de la mortalité (Gallimard/Seuil, 2000). Avec Emmanuel Todd, il est l’auteur du best-seller Le Mystère français (Seuil, 2013). En 2016, il a également publié Le Nouvel Ordre électoral aux Éditions du Seuil.
« Nous ne serons jamais frères ; ni de même patrie, ni de même mère. » Tels sont les mots adressés par la poétesse ukrainienne Anastasia Dmitruk au peuple russe en 2014, miroir inversé des discours récents de Vladimir Poutine qui ne cesse de souligner au contraire l'identité commune entre les deux pays.
S'appuyant sur son expérience de terrain en Russie et en Ukraine, Anna Colin Lebedev retrace les trajectoires de ces deux sociétés pendant les années postsoviétiques. Si l'époque soviétique a créé une proximité forte entre les deux sociétés, leur passé n'est pas complètement commun, et les différences n'ont cessé de s'approfondir au cours des trente dernières années. À partir de 2014, l'annexion de la Crimée et la guerre dans le Donbass ont conduit à une rupture entre Russes et Ukrainiens qui ont cessé d'avoir la même vision d'un destin partagé. Et c'est un gouffre qui semble depuis février 2022 se creuser entre les deux peuples, alors que l'agression armée de l'Ukraine par la Russie les ont fait basculer dans l'horreur d'un conflit meurtrier.
Aucun livre ne suffira à combler ce gouffre et à panser l'immense blessure de la guerre. Ce texte se veut cependant un pas dans une direction essentielle : ne pas renoncer à connaître et comprendre l'autre.
Maîtresse de conférences en science politique, Anna Colin Lebedev travaille sur les sociétés postsoviétiques. Elle a publié Le Coeur politique des mères. Analyse du mouvement des mères de soldats en Russie (Éditions de l'EHESS, 2013).
« En l’absence d’un parti confessionnel, c’est la droite qui en a tenu lieu et il n’est pas douteux que pour des générations, catholicisme et droite ont été associés en bien comme en mal », observait René Rémond. Cette dimension structurante de la vie politique française est pourtant restée un angle négligé de l’histoire contemporaine.Du Magnificat à Notre-Dame lors de la Libération de Paris en août 1944 aux élections présidentielles de 2022, ce livre montre comment, sortant de la guerre des « deux France », les catholiques ont contribué à façonner la IVe et la V République. En 1944, les démocrates-chrétiens deviennent un parti de gouvernement. Après 1958, le gaullisme consonne avec Vatican II et un nouveau concordat semble même possible avant que l’évolution de la société ne déchire les catholiques de droite. La guerre d’Algérie et Mai 68 réarment une marge réactionnaire alors même que l’Église paraît trahir l’ordre ancien. « Dieu n’est pas conservateur », clame Mgr Marty à Notre-Dame. La droite non plus, promet Valéry Giscard d’Estaing dont la majorité composée de catholiques dépénalise l’avortement. L’élection de Jean-Paul II conforte ceux qui réprouvent ce tournant. L’ampleur des manifestations pour l’école libre en 1984 ou contre le mariage homosexuel et la PMA depuis 2013, réaffirme leur place au sein des droites. Au XXIe siècle, la visibilité croissante de l’islam exacerbe cet activisme conservateur.Avec les meilleurs spécialistes, ce livre propose pour la première fois d’éclairer de manière croisée l’histoire des droites et celle du catholicisme. S’étendant du centre aux extrêmes, l’exploration de cet univers à la forte densité intellectuelle et d’une grande créativité militante, apporte un éclairage neuf sur la vie politique française.Réunis autour de Florian Michel, historien, et de Yann Raison du Cleuziou, politiste, vingt-neuf chercheurs reconnus ont contribué à cet ouvrage.
Le Creuset français est désormais un " classique " sur l'immigration. Dans le débat passionnel que suscite ce thème, Gérard Noiriel fait entendre la voix de l'histoire et de la raison. Il propose de rendre compte de l'immigration dans son ensemble, sans s'en tenir aux seuls cas particuliers. L'immigration n'est pas un fait extérieur mais un problème interne à la société française contemporaine.
Prendre au sérieux la diversité des origines de la population actuelle de la France, c'est adopter un autre point de vue sur son passé, c'est écrire autrement son histoire, en tentant d'analyser à nouveaux frais les impensés de la politique républicaine : quelle place faire à la question des " origines ", au " sentiment d'appartenance " ? Quel rôle jouent le déracinement et les déracinés dans la constitution d'une société ? Quelles relations instaurer entre l'État et les individus ?
Gérard Noiriel
Spécialiste d'histoire sociale et d'histoire de l'immigration, il est directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales.
Ce livre raconte l'histoire tumultueuse de l'une des plus vieilles nations d'Europe, ses pages mythiques comme sa part d'ombre. Une histoire glorieuse à l'époque des Jagellons, quand la Pologne, État multinational et multiconfessionnel, accueillait Juifs et protestants. Une histoire unique en Europe aussi, puisque la grande noblesse élisait le roi et qu'elle mit le souverain sous sa tutelle. Mais cette " République des magnats ", inspirée par des principes humanistes, sombra peu à peu dans l'anarchie. Les rivalités entre les tout-puissants magnats faisaient le jeu des puissances voisines qui finirent par se partager le pays : en 1795, l'État polonais était rayé de la carte. Assujettis à de nouveaux maîtres pendant plus d'un siècle, les Polonais cultivèrent ardemment le souvenir de leur nation et s'insurgèrent en 1830 et en 1863. La république polonaise ne ressuscita toutefois qu'au lendemain de la Première Guerre mondiale. À peine restauré, le pays fut soumis à la poigne du maréchal Pilsudski, avant de connaître les heures les plus tragiques de son histoire : l'invasion nazie et les horreurs de l'Holocauste, puis la mainmise de Staline. Les grèves de 1956 marquèrent le début de la lutte contre le communisme. Les grandes étapes de cette lutte qui devait durer près d'un quart de siècle sont encore dans toutes les mémoires : les révoltes de Gdansk, la naissance de Solidarnosc, l'élection du pape Jean Paul II, mais aussi l'établissement de la loi martiale et l'assassinat du père Popielusko. En 1990, Jaruzelski, débordé, démissionne, et Walesa est élu président. Premier pays du bloc soviétique à avoir sapé le rideau de fer, la Pologne rejoint la famille européenne en 2003. Comment s'y est-elle intégrée ? Quel rôle y joue-t-elle ?
Daniel Beauvois, ancien directeur du centre de civilisation française de l'université de Varsovie, est professeur des Universités (Nancy II, Lille III, Paris I Panthéon-Sorbonne). Auteur d'ouvrages sur les relations polono-russo-lituano-ukrainiennes. Il est docteur honoris causa des universités de Wroclaw, Varsovie et Cracovie.
Ouvrage couronné par l'Académie française
Mais où sont passés les Indo-Européens ? On les a vus passer par ici, depuis les steppes de Russie, ou par là, depuis celles de Turquie. Certains les ont même vus venir du Grand Nord. Mais qui sont les Indo-Européens ? Nos ancêtres, en principe, à nous les Européens, un petit peuple conquérant qui, il y a des millénaires, aurait pris le contrôle de l'Europe et d'une partie de l'Asie jusqu'à l'Iran et l'Inde, partout où, aujourd'hui, on parle des langues indo-européennes (langues romanes comme le français, slaves comme le russe, germaniques comme l'allemand, et aussi indiennes, iraniennes, celtiques, baltes, sans compter l'arménien, l'albanais ou le grec). Et depuis que les Européens ont pris possession d'une grande partie du globe, c'est presque partout que l'on parle des langues indo-européennes – sauf là où règne l'arabe ou le chinois.
Mais les Indo-Européens ont-ils vraiment existé ? Est-ce une vérité scientifique, ou au contraire un mythe d'origine, celui des Européens, qui les dispenserait de devoir emprunter le leur aux Juifs, à la Bible ?
Jean-Paul Demoule propose dans ce livre iconoclaste de s'attaquer à la racine du mythe, à sa construction obligée, à ses détournements aussi, comme la sinistre idéologie aryenne du nazisme, qui vit encore. Il montre que l'archéologie la plus moderne ne valide aucune des hypothèses proposées sur les routes de ces invasions présumées, pas plus que les données les plus récentes de la linguistique, de la biologie ou de la mythologie. Pour expliquer les ressemblances entre ces langues, d'autres modèles restent à construire, bien plus complexes, mais infiniment plus intéressants.
Pour aller plus loin : jeanpauldemoule.com
À Paris, on entend de toute part le même refrain : « La Françafrique est morte et enterrée ! » Pourtant, de Ouagadougou à Libreville, de Dakar à Yaoundé, de Bamako à Abidjan, la jeunesse se révolte contre ce qu'elle perçoit comme une mainmise française sur son destin.
Quinze ans après la Seconde Guerre mondiale, la France a officiellement octroyé l'indépendance à ses anciennes colonies africaines. Une liberté en trompe l'oeil. En réalité, Paris a perpétué l'Empire français sous une autre forme : la Françafrique. Un système où se mêlent des mécanismes officiels, assumés, revendiqués (militaires, monétaires, diplomatiques, culturels...), et des logiques de l'ombre, officieuses, souvent criminelles. Un système érigé contre les intérêts des peuples, avec l'assentiment d'une partie des élites africaines et qui profite toujours aux autocrates africains « amis de la France ». Un système que tous les présidents français ont laissé prospérer, en dépit des promesses de « rupture ».
Exceptionnel par son ampleur, inédit par son contenu, cet ouvrage retrace cette histoire méconnue, depuis les origines coloniales de la Françafrique jusqu'à ses évolutions les plus récentes. Rédigées par des spécialistes reconnus - chercheurs, journalistes ou militants associatifs -, les contributions rassemblées dans ce livre montrent que le système françafricain, loin de se déliter, ne cesse de s'adapter pour perdurer.
Des hommes du monde entier s'y aventurent pour faire fortune. L'audacieux vice-roi Li saisit l'occasion pour transformer le siège de son pouvoir en un laboratoire de la " modernité " urbaine. La guerre des Boxeurs durant l'été 1900 transforme brutalement la ville en une commune insurrectionnelle : les sièges des concessions étrangères puis de la cité autochtone détruisent des quartiers entiers et, suite à la victoire inattendue des forces alliées, de nombreux civils chinois sont massacrés. Avec la volonté affichée de moderniser Tianjin et sa région, la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne, les États-Unis, la Russie, le Japon, l'Italie et l'Autriche-Hongrie fondent sur-le-champ le premier gouvernement international de l'époque contemporaine.
En analysant ici tous les aspects d'une expérience politique unique, Pierre Singaravélou offre une vision renouvelée des origines de la mondialisation actuelle qui fut, dès l'origine, une coproduction entre puissances européennes, asiatiques et états-unienne.
Professeur d'histoire contemporaine à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et membre de l'Institut universitaire de France, Pierre Singaravélou a publié de nombreux ouvrages sur l'histoire du fait colonial et de la mondialisation en Asie aux xixe et xxe siècles. Il dirige actuellement les Publications de la Sorbonne et le Centre d'histoire de l'Asie contemporaine.
En quinze chapitres nourris des travaux les plus neufs en histoire, sociologie et sciences politiques, Ludivine Bantigny dresse un bilan éclairant des évolutions durant les quarante dernières années. Une histoire très contemporaine dont l'horizon est marqué par la mondialisation, le libéralisme économique et la conscience de crise. Quelle pertinence à réfléchir encore en termes nationaux au temps de l'apparent effacement des frontières ? De François Mitterrand à Emmanuel Macron, de la crise du creuset républicain aux conditions de travail, des genres de vie aux réflexions sur " l'omniprésent ", ce livre fait la part égale au politique, aux transformations sociales et aux imaginaires, dans un monde devenu multipolaire. Une fois refermée la page des années 1968, une époque nouvelle est née. Elle n'est pas encore close. Ce volume affronte de plein fouet les défis de la contemporanéité, avec un ton personnel et engagé.
Ludivine Bantigny est maîtresse de conférences habilitée en histoire à l'Université de Rouen. Son travail porte sur les engagements politiques et les mouvements sociaux. Elle a notamment publié 1968. De grands soirs en petits matins (Seuil, 2018).
En 1789, Paris comptait moins de 600 000 habitants. A partir de la Restauration, sa population bondit sous l'effet des migrations très fortes : elle double en cinquante ans, quadruple en un siècle. Déjà centre politique et culturel, la capitale devient aussi le principal centre économique et financier : sa puissance inquiète, sa richesse fait envie. Effrayés par la grande métropole, les régimes successifs lui ont tous refusé l'autonomie et l'ont quasi administrée directement. Les monarchies du XIXe siècle ont essayé d'aménager la capitale. La Troisième République, appuyée sur des notables ruraux, l'a négligée. A partir du régime de vichy, Paris semble être devenu le bouc émissaire de l'aménagement. Derrière les critiques mal fondées et les politiques antiparisiennes, on devine toute une doctrine anti urbaine, apparue avec les fascismes des années 1930, qui s'oppose encore aujourd'hui à la grande ville.
Les Gaulois, qui ont fait couler tant d'encre au cours des deux siècles précédents, ont aujourd'hui quasiment déserté les livres d'histoire. Les archéologues et les linguistes préfèrent parler d'une façon plus générale de Celtes, terme pourtant ambigu et source de bien des confusions. Des Gaulois il ne reste, chez quelques-uns, que le souvenir de la Guerre des Gaules de César et, pour beaucoup, qu'une série de lieux communs qui, parce qu'ils ne sont plus questionnés par le discours historique, reviennent en force dans l'imaginaire des Français : " Nos ancêtres les Gaulois ", " des guerriers indisciplinés et querelleurs ", " la Gaule préfigure la France, à la fois comme pays et comme nation ", " les druides, des magiciens et des prêtres pratiquant le sacrifice humain " et quelques autres.
Dans cet ouvrage l'auteur retrace l'histoire d'une quinzaine de ces idées reçues qui constituent pour beaucoup d'entre nous l'essentiel de nos connaissances sur la Gaule et ses habitants. Mais il leur apporte surtout les réponses les plus actuelles que permettent les dernières découvertes archéologiques, la relecture des textes antiques et une mise en perspective de la civilisation gauloise dans son contexte méditerranéen antique.
La Gaule y apparaît comme un champ historique entièrement à redécouvrir.
Le très petit nombre des travaux consacrés à l'histoire de l'État français contraste singulièrement avec la vigueur des jugements qui s'expriment à son propos.
D'où le décalage : l'État comme problème politique, ou comme phénomène bureaucratique, est au cœur des passions partisanes et des débats philosophiques tout en restant une sorte de non-objet historique.
Ce quasi-vide, Pierre Rosanvallon a voulu commencer à le combler dans cet ouvrage, qui est à la fois bilan et programme. Bilan, il propose une première synthèse des travaux disponibles et offre une vaste bibliographie commentée. Programme, il dessine un nouveau cadre conceptuel pour comprendre l'histoire de l'État.
Rompant avec les approches étroitement quantitatives du poids de l'État et avec les catégories platement descriptives des "domaines d'intervention', ce livre analyse de manière dynamique la façon dont se sont formées et développées les différentes figures du rapport État/société. Il appréhende ainsi successivement le Léviathan démocratique (l'État souverain constitué par la société), l'instituteur du social (l'État producteur de lien social et d'unité), l'État providence (l'État réducteur d'incertitudes) et le régulateur de l'économie (l'État keynésien), en réfléchissant en permanence sur les spécificités du cas français.
Après l'accumulation d'horreurs de la première moitié du XXe siècle qui avaient conduit " l'Europe en enfer ", les années 1950 à 2018 apportèrent la paix et une prospérité relative à la majeure partie de l'Europe. D'immenses progrès économiques transformèrent le continent. Le souvenir des guerres mondiales s'éloigna peu à peu, même si leur ombre a continué de planer sur les esprits.
L'Europe était désormais un continent divisé, vivant sous une menace nucléaire, qui prit parfois des contours terrifiants. Ses habitants perdirent la maîtrise de leur destin, dicté par la guerre froide qui opposait les États-Unis et l'URSS, et se trouvèrent " précipités " dans une série de crises qui menaçaient de les faire basculer dans la catastrophe. Il y eut des succès éclatants : la dissolution du bloc soviétique, la disparition des dictatures et la réunification de l'Allemagne. L'accélération de la mondialisation, la dérégulation financière, la naissance d'un monde multipolaire, la révolution des technologies de l'information ont produit de nouvelles fragilités. L'enchevêtrement de crises qui ont suivi 2008 a été l'avertissement le plus clair adressé aux Européens : la paix et la stabilité ne sont aucunement garanties et le continent pourrait bien connaître de nouvelles fractures. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère d'incertitudes.
Dans ce livre remarquable, Ian Kershaw brosse un ample tableau du monde dans lequel nous vivons. Puisant ses exemples à travers tout le continent, Des temps d'incertitudes / L'Age global éclaire puissamment l'histoire du temps présent et jette un regard prudent sur notre futur.
Ian Kershaw est l'auteur d'une monumentale biographie de Hitler (Flammarion, 2000 et 2001) et a publié au Seuil : Choix fatidiques. Dix décisions qui ont changé le monde (2009, " Points Histoire ", 2012), La Fin, Allemagne 1944-1945 (2012, " Points Histoire ", 2014), et L'Europe en enfer, 1914-1949 (2016, " Points Histoire ", 2018).
Politiquement affaibli après l'échec du Grand bond en avant et la grande famine qui l'a suivi (1958-1962), Mao Zedong lance en 1966 la « Grande Révolution culturelle prolétarienne ». Pendant qu'il élimine un à un tous ses compagnons d'armes et successeurs potentiels, il pousse la jeunesse à l'assaut de la bureaucratie civile et militaire : les « gardes rouges », appelés à « renverser ciel et terre », sèment le chaos dans le pays de 1966 à 1968. Mais les choses échappent à son contrôle et, pour garder l'Armée de son côté, il doit bientôt lâcher les jeunes rebelles. Du sommet de l'État aux couches populaires, le pays est alors au bord de la guerre civile. La Révolution culturelle ne prendra fin qu'avec le décès de Mao Zedong, en 1976, après avoir fait des millions de victimes. Nombre de dirigeants actuels ont été marqués, souvent durement, par cette tragédie.
C'est aussi le cas de Yang Jisheng, étudiant à Pékin de 1966 jusqu'à la fin 1967, qui a participé aux débuts de cette période sanglante. Son livre est à la fois une narration inédite, minutieuse et précise des événements - y compris ceux que le récit officiel occulte - et une analyse menée avec une perception intime, une connaissance historique et une distance assez exceptionnelles. Il resitue ces événements dans leur contexte jusqu'à la victoire finale des réalistes sur les idéologues, sans laquelle ni l'ouverture de la Chine à partir de 1978, ni son décollage économique spectaculaire, n'auraient pu avoir lieu.
Ce livre, publié à Hong Kong en 2016, reste interdit en Chine.
Traduit du chinois par Louis Vincenolles
Ce livre nous entraîne au bout de l'Afrique sur les traces d'un peuple oublié, ce peuple dont est issu la tristement célèbre " Vénus hottentote ". Dès qu'il paraît, au temps des Grandes Découvertes, son étrangeté radicale effraie ou émerveille. Voici donc le pire ou le meilleur des sauvages, en tout cas le plus exemplaire : il est ce que nous – Européens, modernes, conquérants – ne pouvons plus être. Inadaptés au monde qui se construit à leurs dépens, ces femmes et ces hommes deviennent la caricature d'un peuple meurtri, bientôt retranché de la terre et de l'histoire.
Parce qu'il retrace leur disparition en même temps que l'enquête qui part à leur recherche, ce livre raconte l'histoire à rebours. Il suit des pistes qui remontent le temps et les retrouve, là, en 1670, entourés de vaches et d'esprits, dans le campement où un chirurgien allemand, notre meilleur informateur, les a rencontrés. Ils ont un nom : les Khoekhoe.
" Je ne sais pas s'il faut haïr les voyages et les explorateurs. Ils vous convient, quelquefois malgré eux, à un outre-passement auquel il faut consentir. Au bout de la piste, si vous y avez consenti, si nous y avons mis assez de désir et de ténacité, peut-être serons-nous tous, le narrateur à coup sûr, la lectrice, le lecteur peut-être, devenus sauvages. "
F.-X. F.
François-Xavier Fauvelle est historien de l'Afrique à l'université de Toulouse. Il est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages et d'une centaine d'articles scientifiques. Il a notamment publié Histoire de l'Afrique du Sud (Seuil, 2006, " Points Histoire ", 2013), Le Rhinocéros d'or. Histoires du Moyen Âge africain (Alma, 2013 ; " Folio histoire ", 2014 ; Grand Prix des Rendez-vous de l'histoire de Blois).
Le sionisme fondateur fut un humanisme, pas un nationalisme. Le mot " humanisme " fera sourire certains. D'autres, par contre, grinceront des dents : humaniste, vraiment, l'idéologie à l'origine du malheur des Palestiniens ? En fait, oui, et c'est l'objet de cet essai de le montrer. De souligner combien la référence à des valeurs universelles et la revendication correspondante d'une dignité pour tous furent au coeur de la logique fondatrice formulée par les premiers penseurs du sionisme.
Une évolution était-elle inévitable ? Je suis enclin à le croire. L'humanisme du discours des fondateurs consistait en ce que ce dernier s'articulait autour de la question de l'altérité : le Juif comme l'Autre de la Diaspora, le territoire recherché comme rien de plus qu'un espace-refuge pour cet Autre. Or comment préserver le privilège humaniste de l'altérité dans un refuge désormais conçu comme juif et où, en quelque sorte par définition,
le Juif n'est plus l'Autre ?
Le sionisme des origines fut un moment de grande beauté dans l'histoire de la pensée rationnelle et universaliste moderne, dans l'histoire de l'humanisme. Le reconnaître, c'est également reconnaître que ce moment est passé.
U. E.
Terre de France raconte l'histoire du territoire national sous la forme d'un parcours initiatique à travers ses paysages les plus spectaculaires.
Ce voyage dans le temps débute il y a 500 millions d'années en Bretagne, rend visite aux dinosaures du Jurassique en Bourgogne et du Crétacé en Provence, passe par le soulèvement des Alpes, la construction des volcans d'Auvergne et l'assèchement de la Méditerranée, et se termine par l'arrivée d'Homo sapiens sur le littoral français.
Tout au long du parcours, on note les indices de ces aventures passées dans nos paysages actuels: ici, parmi les ceps de vigne, les éclats d'argile sont des coquilles d'œufs de dinosaures ; ailleurs, les pierres multicolores qui ornent les murs d'un château sont les blocs éjectés par un impact d'astéroïde.
Dans chaque chapitre, une carte de France de l'époque évoquée, aux rivages et aux reliefs insolites ; une vue d'artiste des événements et animaux préhistoriques ; des encadrés sur les monuments à visiter, et des itinéraires – à pied ou en voiture – pour explorer les sites les plus marquants de la région.
Charles Frankelest géologue et spécialiste du système solaire. Il se partage entre la recherche, l'écriture et la réalisation de documentaires et a déjà publié au Seuil, La Vie sur Mars, " Science ouverte ", 1999 et La Mort des dinosaures, " Points sciences ", 1999.
Illustrations intérieures de Pierre-Emmanuel Paulis
Quand la République était révolutionnaire
Citoyenneté et représentation en 1848
L'insurrection imprévue de février 1848 a fait naître une République. Mais que recouvre exactement le mot ?
Loin de s'enfermer dans des discussions savantes, cette question fait l'objet de débats publics, de manifestations et d'affrontements, en particulier dans les rues de Paris. Deux conceptions opposées de la République se constituent. D'un côté, la République modérée, défendue par la majorité du Gouvernement provisoire puis de l'Assemblée nationale, selon laquelle la République se résume dans l'élection au suffrage " universel " (les femmes en restent exclues). D'un autre côté, la République démocratique et sociale, qui rallie des membres de clubs, des ouvriers, de simples citoyens, pour lesquels la République n'a de sens que si elle permet au peuple de participer directement aux affaires publiques, de garder le contrôle sur ses représentants et d'assurer l'émancipation des travailleurs.
L'échec de l'insurrection de juin permet le triomphe de la République modérée et des institutions du gouvernement représentatif, mais la République démocratique et sociale se maintient, comme horizon révolutionnaire, au sein du mouvement ouvrier naissant.
En retrouvant les discours et les controverses sur le sens de la citoyenneté et de la représentation, cette plongée dans le printemps 1848 laisse entrevoir la possibilité d'une République émancipatrice, non advenue mais dont la puissance révolutionnaire est toujours actuelle.
Samuel Hayat est docteur en science politique de l'Université Paris 8-Saint-Denis et lauréat 2012 du prix Aguirre-Basualdo en Droit et Sciences politiques de la Chancellerie des Universités de Paris. Chercheur au Conservatoire national des arts et métiers, membre des comités de rédaction des revues Tracés et Participations, ses travaux portent sur l'histoire et la théorie de la représentation politique, ainsi que sur la sociologie historique du mouvement ouvrier français.
Lettres noires : des ténèbres à la lumière - c'est sous ce titre qu'Alain Mabanckou prononçait, le 17 mars 2016, sa leçon inaugurale en tant que professeur invité au Collège de France, une leçon qui vit se bousculer plus d'un millier d'auditeurs. Conforté par cet écho, Alain Mabanckou a battu le rappel des chercheurs, écrivains et penseurs de l'Afrique postcoloniale, les conviant à venir débattre sur le thème Penser et écrire l'Afrique aujourd'hui. Ce sont les actes de ce colloque, en date du 2 mai 2016, que nous publions, soit les interventions de 19 participants issus de tous les champs du savoir et de la création littéraire. Le souhait profond est que ce colloque " résonne comme un appel à l'avènement des Etudes africaines en France ". C'est une façon de s'interroger sur " le retard pris par la France dans la place à accorder aux études postcoloniales pendant qu'en Amérique presque toutes les universités les ont reconnues et les considèrent comme un des champs de recherche les plus dynamiques et les plus prometteurs. "
Alain Mabanckou est né à Pointe-Noire (République du Congo). . Il est l'auteur d'une dizaine de romans dont Verre cassé (2005), Mémoires de Porc-épic (prix Renaudot 2006) et Petit Piment (2015). Son œuvre est traduite dans une vingtaine de langues. Il est par ailleurs professeur titulaire à l'Université de Californie-Los Angeles (UCLA).
Jean-Noël Jeanneney livre un récit captivant de l'attentat qui faillit coûter la vie à de Gaulle quelques semaines après la fin de la guerre d'Algérie.
Le 22 août 1962, emmené par le lieutenant-colonel Bastien-Thiry, un commando de fanatiques opposés à l'indépendance de l'Algérie tenta d'assassiner le chef de l'État, en ouvrant le feu sur la DS présidentielle, au Petit-Clamart, à proximité de l'aéroport de Villacoublay. Quelques mois plus tard, au terme d'un procès au cours duquel il put exposer à loisir ses raisons et sa haine du " tyran ", Bastien-Thiry fut fusillé.
Jean-Noël Jeanneney a plongé dans les archives de la police, de la justice et de la présidence de la République, et dans les mémoires des principaux acteurs, pour reconstituer avec une netteté passionnante l'attentat, le complot qui le précède et ses suites. Il dévoile un paysage haut en couleurs, où se croisent les activistes de l'OAS, des catholiques traditionalistes lecteurs de Thomas d'Aquin et des réfugiés hongrois à la frontière du banditisme qui se considèrent comme les pieds-noirs de l'Europe.
Chemin faisant, il jette une lumière neuve sur la personnalité de Charles de Gaulle, il éclaire les relations entre la puissance du hasard et les forces profondes qui sont au travail, et il fait entendre des échos inattendus entre cette époque et la nôtre : devant les fanatismes meurtriers, jusqu'où une démocratie menacée peut-elle accepter des atteintes aux libertés publiques fondamentales, au risque d'y perdre son âme ?
Auteur de nombreux ouvrages et documentaires, Jean-Noël Jeanneney a été président de Radio France, de RFI, de la Mission du Bicentenaire de la Révolution et de la Bibliothèque nationale de France, et secrétaire d'État à la Communication. Il est producteur de l'émission " Concordance des temps ", sur France Culture, et professeur émérite des universités à Sciences Po.
Les Usages de la coutume propose la traduction en français de Customs in Common, ouvrage dans lequel l'historien britannique Edward P. Thompson avait rassemblé en 1991 ses articles majeurs. Tous ont marqué la réflexion historiographique depuis près de cinq décennies. À l'aide de notions comme l'histoire vue d'en bas, l'agency, l'économie morale ou la discipline du travail industriel, Thompson, à partir du cas anglais, y analyse les transformations des sociétés européennes entre le XVIIe et le XIXe siècle. Dans une société travaillée par le paternalisme de la noblesse, les tensions sur le marché des subsistances, la privatisation des biens communs ou l'impossibilité du divorce, Thompson scrute les luttes des hommes et des femmes du peuple pour conserver leur place et leurs droits, batailles dont il n'a cessé de rappeler l'actualité. La défense de la coutume y apparaît alors comme le principal moyen pour s'opposer aux réformes qui ouvrent la voie à la société libérale.
Intellectuel peu conventionnel, aux marges de l'Université britannique, E. P. Thompson (1924-1993) n'a jamais séparé la rigueur et l'inventivité de ses recherches de son engagement militant au service d'un socialisme humaniste, depuis la nouvelle gauche des années 1950 jusqu'à la campagne européenne pour le désarmement nucléaire à partir de 1980. La Formation de la classe ouvrière anglaise (1963, trad. fr. 1988), Whigs and Hunters (1975) ou Albion's Fatal Tree (1975) comptent parmi les livres les plus lus et les plus discutés à l'échelle mondiale, aussi bien dans les pays émergents, Inde, Chine, Amérique latine, qu'en Europe et en Amérique du Nord. Ses analyses et ses propositions restent au cœur des débats intellectuels et politiques contemporains.
Traduit de l'anglais par Jean Boutier et Arundhati Virmani.
" Hautes Études " est une collection de l'École des hautes études en sciences sociales, des Éditions Gallimard et des Éditions du Seuil.
La France, dit-on, serait la patrie des intellectuels. Ce lieu commun occulte la virulence des haines que s'attirent les clercs au " pays qui aime les idées ". Faut-il considérer que les accès d'anti-intellectualisme que l'histoire a retenus ‒ l'affaire Dreyfus, le " procès de l'intelligence ", la " querelle des mauvais maîtres " ‒ ne seraient que des accidents de parcours propres à dramatiser le récit national ?
Cet ouvrage montre au contraire que l'anti-intellectualisme manifeste, en France, une ardeur continue depuis le XIXe siècle. De Proudhon à Michel Houellebecq, des anarchistes aux catholiques intransigeants, des nationalistes maurrassiens aux maoïstes ou aux situationnistes, il entrelace des traditions à première vue contradictoires, dont les clivages manichéens – entre la gauche et la droite, l'art et la critique, la mondanité et la science, l'élitisme et le populisme – ne permettent pas d'appréhender la convergence au sein d'une culture partagée.
Aux " rhéteurs ", aux " gendelettres ", au " prolétariat des bacheliers ", aux " fonctionnaires de la pensée ", aux " intellectuels fatigués ", à l'" intelligentsia ", on reproche de servir le pouvoir ou de subvertir le peuple, de s'engager ou de se taire, de parler pour les autres ou de disserter entre eux... Mais derrière le procès des intellectuels, le plus souvent instruit dans leurs rangs, c'est moins une " guerre à l'intelligence " qui est menée que des batailles de frontières autour de leur place en démocratie.
Ancienne élève de l'École normale supérieure Lettres et Sciences humaines, Sarah Al-Matary est maîtresse de conférences en littérature à l'université Lumière-Lyon 2. Ses travaux portent notamment sur l'histoire des polémiques intellectuelles.
La Prusse offre un exemple rare dans l'histoire : celui d'un État puissant qui choisit de disparaître pour se fondre dans une entité plus vaste. Instrument de l'unité allemande, la Prusse lègue à la construction bismarckienne un héritage très prégnant, pour le meilleur ou pour le pire. Et il serait difficile de comprendre l'Allemagne contemporaine en faisant abstraction de cet apport prussien, militaire certes, mais aussi religieux, culturel, moral, juridique.
L'histoire de la Prusse, inextricablement liée à celle de l'Europe centrale, ne recoupe que sporadiquement celle de la France. Cela explique sans doute l'absence de toute synthèse à son sujet dans l'historiographie française, même si celle-ci a produit quelques brillantes monographies. Le présent ouvrage vise à combler cette lacune et à présenter l'histoire de la Prusse dans sa continuité et ses aléas, de ses origines médiévales à son absorption dans l'ensemble allemand, voire à sa survie posthume jusqu'à nos jours.
L'Amérique est depuis Colomb le continent des malentendus, aussi notre vision de l'"autre Amérique" échappe-t-elle rarement à l'exotisme insignifiant ou aux généralisations superficielles. Privilégiant une approche transversale, Alain Rouquié a écrit, en comparatiste, la première synthèse qui rend compte de la diversité d'une région qu'on aurait tort de traiter de manière indistincte, en fonction d'une apparente homogénéité perçue à travers l'héritage espagnol ou portugais.
Géographie, histoire, politique, économie et relations internationales : une série de coupes restitue les éléments d'unité mais aussi les différences essentielles d'un Extrême Occident dont on ne peut ignorer l'importance économique, le rôle politique ou l'apport culturel.