L'Étoffe du diable
La rayure et les étoffes rayées sont longtemps restées en Occident des marques d'exclusion ou d'infamie. En furent notamment vêtus tous ceux qui se situaient aux marges de la société chrétienne ou bien en dehors : jongleurs, musiciens, bouffons, bourreaux, prostituées, condamnés, hérétiques, juifs, musulmans ainsi que, dans les images, le Diable et toutes ses créatures. Sans faire disparaître ces rayures très négatives, l'époque romantique voit apparaître une nouvelle forme de rayures, positives et liées aux idées nouvelles de liberté, de jeunesse et de progrès. Dans les sociétés contemporaines, ces deux types de rayures cohabitent : celles des vêtements de prisonniers, de la pègre, des lieux dangereux et celles du jeu, du sport, de l'hygiène et de la plage.
Michel Pastoureau
Historien, spécialiste des couleurs, des images et des symboles, il est directeur d'études à l'École pratique des hautes études. Il a notamment publié Bleu, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental, Le Petit Livre des couleurs (avec Dominique Simonnet), L'Ours et Noir.
Une histoire de l'anthropologie
L'histoire de l'anthropologie est complexe et bien plus riche que ne le laissent penser certaines approches qui la réduisent à un seul courant. Si l'on veut se donner les moyens de saisir le champ de l'anthropologie dans son ensemble, il faut passer par la Grande-Bretagne, l'Allemagne et les États-Unis autant que par la France - et oser remonter quelque peu dans le temps.
C'est l'ambition du présent ouvrage, qui se donne à lire comme un vade-mecum permettant de situer les hommes et les idées qui ont peu à peu construit la discipline en Europe et outre-Atlantique.
Claude Lévi-Strauss a écrit les pages qui forment à présent ce volume pour répondre à une demande du grand quotidien italien La Repubblica. Il en résulte un ensemble inédit, composé de seize textes écrits en français, entre 1989 et 2000.
Partant chaque fois d'un fait d'actualité, Lévi-Strauss y aborde quelques-uns des grands débats contemporains. Mais, que ce soit à propos de l'épidémie dite de " la vache folle ", de formes de cannibalisme (alimentaire ou thérapeutique), de préjugés racistes liés à des pratiques rituelles (l'excision ou encore la circoncision), l'ethnologue incite à comprendre les faits sociaux, qui se déroulent sous nos yeux, en évoquant la pensée de Montaigne, un des moments fondateurs de la modernité occidentale : " Chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage ".
Dans ces chroniques, qui portent la marque des dernières années du XXe siècle, on retrouve la lucidité et le pessimisme tonique du grand anthropologue.
En ouverture du volume un texte écrit en 1952 : Le Père Noël supplicié.
Maurice Olender
Extrait de l'avant-propos
Professeur au Collège de France, Claude Lévi-Strauss est né à Bruxelles le 28 novembre 1908 et mort à Paris le 30 octobre 2009. Son oeuvre est traduite en une trentaine de langues.
" [...] Pour qui aborde l'histoire, non pas, si j'ose dire, par la face visible de la lune – l'histoire de l'ancien monde depuis l'Égypte, la Grèce et Rome – mais par cette face cachée de la lune qui est celle du japonologue et de l'américaniste, l'importance du Japon deviendrait aussi stratégique que celle de l'autre histoire, celle du monde antique et de l'Europe des temps archaïques.
Il faudrait alors envisager que le Japon le plus ancien ait pu jouer le rôle d'une sorte de pont entre l'Europe et l'ensemble du Pacifique, à charge pour lui et pour l'Europe de développer, chacun de son côté, des histoires symétriques, tout à la fois semblables et opposées : un peu à la façon de l'inversion des saisons de part et d'autre de l'équateur, mais dans un autre registre et sur un autre axe.
C'est donc [...] dans une perspective beaucoup plus vaste que le Japon peut nous sembler détenir certaines des clés maîtresses donnant accès au secteur qui reste encore le plus mystérieux du passé de l'humanité. "
Claude Lévi-Strauss
Préface de Junzo Kawada
Professeur au Collège de France, Claude Lévi-Strauss est né à Bruxelles le 28 novembre 1908 et mort à Paris le 30 octobre 2009.
Si les lecteurs de Claude Lévi-Strauss retrouvent ici les questions qui sous-tendent ses travaux, les nouvelles générations pourront y découvrir une vision d'avenir proposée par le célèbre anthropologue.
Dans ces trois conférences, Claude Lévi-Strauss livre ses inquiétudes relatives aux problèmes cruciaux d'un monde sur le point d'entrer dans le XXIe siècle, sur les affinités entre les diverses formes d'" explosions idéologiques " et le devenir des intégrismes.
M . O .
Professeur au Collège de France, Claude Lévi-Strauss est né à Bruxelles le 28 novembre 1908 et mort à Paris le 30 octobre 2009.
Noël 1951. Nous sommes le dimanche 23 décembre à Dijon. Sur le parvis de la cathédrale on brûle un Père Noël. De cette scène, qui cristallise la résistance des autorités catholiques de l'après-guerre à un rituel païen venu d'outre-Atlantique, on peut voir aujourd'hui les photographies sur internet.
Claude Lévi-Strauss découvre ce fait divers dans la presse et s'en empare pour écrire un texte devenu depuis un classique. Plus de soixante ans après sa parution en 1952 dans la revue Les Temps Modernes, les lecteurs pourront découvrir le regard singulier du célèbre anthropologue sur un rituel récent en Occident dont l'ampleur n'a cessé de croître, tandis qu'Halloween aussi évoqué ici a traversé l'Atlantique à son tour.
Maurice Olender
¿Extrait de l'avant-propos
" Les Belles Paroles : ainsi les Indiens Guarani nomment-ils les mots qui leur servent à s'adresser à leurs dieux. Beau langage, grand parler, agréable à l'oreille des divins qui l'estiment digne d'eux. Rigueur de sa beauté dans la bouche des chamanes inspirés qui les prononcent [...], ces né' en poran, ces belles paroles, elles retentissent encore au plus secret de la forêt qui, de tout temps, abrita ceux qui, se nommant eux-mêmes Ava (les Hommes), s'affirment de cette manière dépositaires absolus de l'humain. Hommes véritables donc et, démesure d'un orgueil héroïque, élus des dieux, marqués du sceau du divin, eux qui se disent également les Jeguakava, les Adornés... "
Trois types de textes sont réunis dans cette anthologie commentée : des mythes où se raconte une histoire des dieux, du monde et des hommes ; les Belles Paroles, au sens propre, beaucoup plus ésotériques : textes où la cosmogenèse fait l'objet d'une spéculation religieuse ; des commentaires, enfin, très libres, où un nouveau pas est franchi : celui de la conceptualisation métaphysique.
On a regroupé ces textes dans une succession idéale : " temps de l'éternité ", " lieu du malheur ", " ce que disent les derniers ".
Pierre Clastres
1934-1977. Études de philosophie ; après quoi, s'oriente vers l'ethnologie américaniste. Séjours de plusieurs années parmi des tribus indiennes du Paraguay, du Brésil central et chez les Yanomami du Venezuela. Enseigne quelque temps à l'université de Sao Paulo puis chargé de recherches au CNRS.
Auteur de la Chronique des Indiens Guyaki (Plon, 1972) et de L a Société contre l'État (Éditions de Minuit, 1974).
Invité fin 1969 au Salk Institute for Biological Studies à San Diego, E. Morin plonge dans la Californie, " terre en transes ", " tête chercheuse du vaisseau spatial terre ". L'originalité de ce journal est dans e tourbillon qui active et fait communiquer, à un pôle la Californie et les Etats-Unis à un moment crucial de leur histoire, à un troisième pôle les problèmes fondamentaux de la connaissance de l'homme et de la vie. C'est ce mouvement même qui constitue le Journal de Californie.
Après la mort de Claude, j'ai dû faire de l'ordre dans ses papiers. J'ai lu ces paquets de lettres avec un plaisir étonné : j'entendais sa voix, je revoyais ses traits, les descriptions me rappelaient l'homme avec lequel j'ai vécu presque soixante ans. Être réservé, si intimidant et mal connu. De Strasbourg durant son service militaire, de Mont-de-Marsan où il exerça pour la première fois le métier de professeur, de New York en exil, ces lettres écrites presque quotidiennement forment une sorte de journal. Et un journal n'est rien d'autre qu'un autoportrait.
En le rendant public, je voudrais faire connaître l'homme qui se cachait derrière le savant.
Monique Lévi-Strauss
Depuis quarante ans, la confrontation avec l'anthropologie a été l'occasion d'un profond renouvellement des interrogations et des expérimentations historiennes. Dans le domaine qui s'est ouvert alors, Nathan Wachtel occupe une place centrale. Il y a construit une œuvre majeure.
Croisant le travail de terrain et l'enquête archivistique, il a renouvelé le vieux rêve d'une histoire totale. Deux grandes trilogies, consacrées l'une aux études andines l'autre aux études marranes, ont illustré ce parcours pionnier. Des Indiens des hautes terres boliviennes aux proscrits essaimés à travers le Nouveau Monde et qui s'obstinaient à judaïser en secret, il n'a cessé de s'interroger sur l'articulation entre identités et mémoires collectives, de chercher à rendre compte d'un passé dont il retrouvait les traces dispersées et persistantes dans le présent.
L'auteur réunit dans ce volume les textes de réflexion qui ont accompagné son itinéraire singulier.
Professeur au Collège de France où il a occupé la chaire " Histoire et anthropologie des sociétés méso- et sud-américaines " de 1992 à 2005, Nathan Wachtel est directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales. Parmi ses ouvrages, La Vision des vaincus. Les Indiens du Pérou devant la Conquête espagnole (1530-1570), Gallimard, 1971 ; Le Retour des ancêtres. Les Indiens Urus de Bolivie, XXe-XVIe siècle. Essai d'histoire régressive, Gallimard, 1990 ; Labyrinthes marranes, Seuil, 2001.
" Hautes Études " est une collection des Éditions de l'École des hautes études en sciences sociales, des Éditions Gallimard et des Éditions du Seuil.
Le présent travail se divise en deux parties : une méthodologie générale et un ensemble d'études de cas. Il a pour objet l'analyse des phénomènes qu'on appelle couramment " sociaux " (classes, usines, mouvements de lutte) ; mais c'est justement une des forces du livre que de tenir à distance le prédicat " social " au profit d'un autre, considéré comme plus fondamental : le prédicat " politique ".
Est ainsi engagé une doctrine originale de la politique : celle-ci ne se caractérise pas par des objets empiriques particuliers (appareil d'État, gouvernement, représentation parlementaire, etc.), mais comme pensée singulière, avec son champ et ses catégories propres. C'est ce que l'auteur appelle la " politique en subjectivité ".
Pour mesurer l'enjeu de cette nouvelle approche de la politique, il convient de rappeler que, depuis les Grecs, toute la pensée politique s'accorde sur un principe : la politique est d'abord un ensemble d'objets (cités, royaumes, États, etc.) ; et que, pour bien des modernes, ces objets se laissent encore typifier en un seul : l'appareil d'État.
On dit que l'homme est un être social, mais que signifie exactement cette phrase ? Quelles sont les conséquences ce constat banal, qu'il n'existe pas de je sans tu ? En quoi consiste, pour l'individu, la contrainte de ne jamais connaître qu'une vie commune ?
Dans cet essai de réflexion et de synthèse, où la philosophie côtoie la théorie psychanalytique, où les œuvres littéraires secondent l'introspection, Tzvetan Todorov aborde le thème central d'une nouvelle – ou très ancienne – discipline, l'anthropologie générale. Il cherche à comprendre l'orgueil et le dévouement, l'identification au tyran ou à la victime, l'amour des parents et celui des enfants. L'être humain est condamné à l'incomplétude, il aspire à la reconnaissance, et son soi, même dans la solitude, est fait de rencontres avec les autres.
On est heureux parce qu'on aime, on aime parce que, sans l'amour, on n'existe pas. Notre bonheur dépend exclusivement des autres, qui détiennent donc aussi les instruments de sa destruction. La vie commune ne garantit jamais, et dans le meilleur des cas, qu'un frêle bonheur.
Ce livre a pour objet l'analyse des systèmes symboliques qui, en Europe occidentale, définissent les catégories de folie à travers une constellation de manques identifiés à des ratés de la coutume : ratés de l'accès à la parole, ratés des relations entre les vivants, les saints et les morts, ratés de l'identité sexuelle.
Tous ces désordres composent d'énigmatiques récits de " vies à l'envers ", produits par le groupe social pour penser une déviance d'abord perçue comme transgression des règles qui régissent l'exercice de la sexualité et le rapport au travail, mais qui conduit toujours hommes et femmes à vivre le lien matrimonial comme une menace mortelle. Aussi bien, pour conjurer ces figures de l'altérité, l'impératif social du mariage, parfois considéré comme " remède ", se trouve-t-il le plus souvent inversé en interdit coutumier.
Ce traitement paradoxal doit être resitué dans un vaste ensemble de rituels curatifs qui prolongent des rites liturgiques et des rôles cérémoniels toujours vivants. L'auteur restitue leur cohérence en conjuguant étroitement approche ethnographique et reconstruction de leur profondeur historique.
Qu'il s'agisse des développements théoriques inédits ou de l'interprétation des pratiques curatives, Giordana Charuty sait nous captiver par une composition et une écriture romanesques qu'appelait cette mise en regard de vies parallèles.
Cet ouvrage est une réédition numérique d'un livre paru au XXe siècle, désormais indisponible dans son format d'origine.