Enfermé dans son appartement parisien, en haut d'un immeuble de la rue Voltaire, Christophe Maout décide de photographier les oiseaux qu'il voit furtivement passer au loin lorsqu'il sort sur son balcon. Pour mieux les identifier, il utilise une technique simple et bien connue des amateurs : la jumelle. Il plaque alors l'objectif de son appareil photo sur l'oeilleton de celle-ci et s'approche au plus près des volatiles pour les photographier.
Variant les moments de la journée, les orientations du soleil et les espèces d'oiseaux, le photographe renoue avec la tradition ornithologique de l'observation, tout en ajoutant un geste artistique dans le cadrage et la couleur. Nous plongeons alors dans le noir de l'appareil et notre oeil est focalisé, grâce au cercle de la jumelle, sur cette petite tache noire, sur ce petit accent circonflexe inversé, qui nous indique la présence de l'animal. Maout nous transporte dans un univers de légèreté, alternant les points de vue, allant du ciel au immeubles, avec comme seuls repères visuels les nuages et l'horizon. Ce 12e titre de la collection Des oiseaux célèbre cette liberté magnifique qui n'appartient qu'aux oiseaux et qui nous fait lever les yeux au ciel pour les regarder.
Photographe talentueux, reporter assidu et le plus publié dans le magazine Vu, célèbre pour ses mises en pages et images avant-gardistes, Gaston Paris (1905-1964) reste étonnement l'un des oubliés de l'histoire de la photographie. Ses images figurent, dans toute la presse de l'époque, aux côtés de celles de Laure Albin-Guillot, Germaine Krull, ou encore André Kertész. Équipé de son Rolleiflex et politiquement engagé, il saisit, dès les années 1930, le Paris des noctambules, le monde du cirque et des cabarets, les luttes sociales : ses cadrages audacieux, ses vues en contre-plongée, ses noirs et blancs contrastés témoignent d'un regard acéré et moderniste.
Parallèlement à cette production dédiée aux grands sujets louant la modernité, Gaston Paris livre de nombreux reportages étranges et personnels, aux inspirations surréalistes. Il excelle dans les mises en scènes étonnantes et devient l'un des collaborateurs attitré du magazine Détective de la fin des années 1930 aux années 1950 ; entre horreur et Grand Guignol, il reconstitue des drames peuplés de gangsters et de personnages mystérieux.
Cet ouvrage offre aussi un éclairage sur la pratique naissante du photojournalisme, en particulier sur quelques-uns des grands sujets alors privilégiés (le monde de la nuit, la misère, les stars parmi lesquelles Piaf ou Cocteau, l'idée de progrès, etc.) et un témoignage exceptionnel de l'évolution de la société de l'entre-deux-guerres.
Menée sous la direction scientifique de l'historien de la photographie Michel Frizot, cette monographie présente les multiples aspects d'un travail jusqu'ici méconnu et redécouvert par le Cabinet de la photographie du Centre Pompidou. Photographies, planches-contact thématiques consciencieu-sement réalisées par Gaston Paris, ainsi que des extraits de pages de magazines, avec lesquels il collaborait régulièrement, laissent entrevoir l'étendue de son vocabulaire esthétique et photographique. Cette exploration visuelle sera enrichie d'une introduction à l'oeuvre par Michel Frizot, d'un essai de Julie Jones sur la représentation de la femme dans le Paris des années 1930 et d'un texte de Delphine Desvaux, responsable du fonds Gaston Paris.
Tout commence par le voyage de son grandpère, en 1926. Celui-ci effectue alors « Le grand tour », expédition contemplative et touristique des ruines du Moyen-Orient par les occidentaux. Il y réalise alors un album photo, souvenir de son parcours. En 2019, Mathieu Pernot part à son tour, sur les traces de son aïeul, suivant le même chemin, presque cent ans plus tard. L'aventure commence donc à Beyrouth, au Liban, à la recherche de l'appartement dans lequel a séjourné son grand-père. La ville est maintenant détruite par la récente explosion du port, mais l'appartement est bel et bien toujours là. Pernot va traverser le Liban, l'Irak et la Syrie, passant par Tripoli, Baalbek, Homs ou encore Mossoul pour photographier ce que sont devenus ces régions qui fascinaient tant. Ce livre est la trace de cette ruine moderne dans laquelle sont désormais plongés les habitants. Les villes, si magnifiques sur l'album familiale, sont maintenant détruites par les conflits ou les catastrophes. Pernot suit les vestiges de ce qu'était cette région, avec son ancienne voie de chemin de fer qui la traversait, et ses monuments démolit. Le livre se termine avec des photographies de famille trouvées dans les ruines de Mossoul, qui constituent l'album moderne, en regard de celui du grand-père, comme une mémoire du présent.
Textes :
- Hala Kodmani, Journaliste spécialiste du Moyen-Orient.
- Entretien entre Mathieu Pernot et Etienne Hatt, journaliste à Artpress.
Son esprit curieux le mène à poser son objectif sur des sujets parfois plus contemplatifs, où la nature tient une place majeure. Ainsi, lors d'un séjour au Japon, le photographe, parti assister au célèbre sakura zensen ou éclosion des cerisiers, est davantage saisi par la majesté d'une colonie d'aigles. À Kyoto, le temple de Shimogamo, situé dans le delta de la rivière Kamo-Gawa, se dresse au coeur de la forêt Tadasu no Mori, ou « forêt de la vérité ». Ce sanctuaire shinto, datant du VIIe siècle, niche au coeur d'une forêt primaire peuplée d'aigles. Planant au-dessus des visiteurs, surgissant aux détours de feuillages toutes ailes déployées, les aigles virevoltent tout près du photographe. Leur fulgurante vitesse est captée dans des cadrages serrés : les oiseaux semblent surgir du cadre ou en sortir à toute allure. Les chorégraphies se succèdent : en soliste, en duo ou en groupe, ces fascinants rapaces semblent glisser dans l'espace. Se détachant sur des ciels aux noirs et blancs saturés, les aigles de Pellegrin nous fixent, nous défient, nous surprennent. Leur majesté force l'admiration : ils planent, esquissent moult acrobaties. Leurs rémiges se font doigts, leurs ailes deviennent capes. Défiant les lois de la pesanteur, immergés dans les profondeurs des sous-bois, les oiseaux de Pellegrin nous invitent à pénétrer dans un monde mystérieux et fantomatique, où seule règne la présence animale.
Nicholas Nixon (né en 1947 à Détroit) est un artiste américain connu pour ses portraits en noir et blanc et ses photographies documentaires de grand format. Il a notamment photographié la vie rurale du Sud des États-Unis, les écoliers de Boston, les hommes et les femmes ordinaires et simples, mais aussi ceux des maisons de retraite, les aveugles ou encore les malades du SIDA. Son travail le plus célèbre est celui qu'il a engagé en 1975 en photographiant sa femme et ses trois soeurs, à raison d'une image par an. Cette série, The Brown Sisters, montre à la fois l'endurance du photographe mais également l'effet du temps sur la famille, le domaine favoris de Nixon. Ce travail est entré dans toutes les plus grandes collections muséales du monde et notamment au MoMA de New York et à la Maison européenne de la photographie, à Paris. En 1975, année de la création des Brown Sisters, Nixon entame sa série Industrial Landscapes qui porte à la vue de tous ces paysages urbains altérés par l'homme. Fortement influencé par le travail d'Edward Weston et de Walker Evans, qui sont la raison pour laquelle il a commencé à utiliser des appareils photo grand format, Nixon conserve cette esthétique singulière d'une photographie de grande dimension qui le place comme l'un des grands photographes américains de notre époque.
Le photographe représenté par l'agence Magnum Photos entreprend alors un périple qui le fera traverser tous les états du pays, parcourant près de 160 000 km à la rencontre des traces de la pauvreté croissante et dissimulée. À la rencontre également de ces personnes qui n'existent pas dans l'image d'une Amérique moderne et médiatique. Ce qui avait commencé comme une histoire de communautés individuelles et isolées est devenu le portrait d'un pays de plus en plus divisé et inégal, créé à une époque de disparité et de désunion croissantes. Terminées en 2020 après la visite du dernier état, les images sont accompagnées du carnet de voyage de l'artiste, mêlant ainsi ses notes personnelles à des collections d'objets trouvés.
Publiée pour la première en français, cette série met l'accent sur la pauvreté des communautés agricoles et l'isolement du monde rural américain. Dans un style documentaire aux noirs et blancs intenses, le photographe nous plonge dans un monde dur mais bien réel.
Le photographe cite sans hésitation l'exposition de photographie japonaise du MoMA de 1974, intitulée « New Japanese Photography », comme l'une de ses plus importantes sources d'inspirations. De Tokyo à Osaka, il découvre les métropoles nippones avec sa manière si particulière de photographier. Chaque image est une rencontre, très proche, puissante, qui cache une histoire. L'oeuvre de Gilden est faite ainsi, il s'approche, parle, raconte, photographie et créé le tableau d'une scène de rue unique. À la recherche de personnalités aussi forte que la sienne, Gilden va retranscrire sa vision du Japon grâce aux détails qui l'entourent : le costume d'un homme, le chapeau d'un autre, ou encore la posture d'une femme.
Tous ces éléments, qui donnent la force aux images, forment un ensemble saisissant, à la marge, comme lui. Dans Cherry Blossom, le photographe américain raconte à l'écrit dans un texte introductif, ce qui est rare, l'histoire de ces voyages et les liens qu'il entretient avec le Japon. Les récits qui vivent en parallèle à ces images, que ce soit une anecdote ou un dialogue avec les personnages, rendent la vision du photographe américain encore plus contemporaine que jamais.
L'oeuvre photographique de Patrick Zachmann, membre de l'agence Magnum, est complexe et dense. Elle se lit notamment à la lumière de plusieurs thèmes récurrents qui la traverse. Le premier, et l'un des plus importants, est la question de l'identité juive. Cette identité, il va la chercher, l'explorer, la découvrir, partant pour cela en introspection dans sa propre famille, puis dans différents pays d'Europe, à un rassemblement des rescapés des camps ou auprès d'une communauté parisienne. Ce travail interroge la notion même d'une communauté, d'une identité, aussi forte que celle juive. De ses réflexions naitrons d'autres chemins que le photographe empreinte aisément, comme ceux de l'exil ou de la disparition. Il ne s'attache en effet pas uniquement à l'identité juive, mais photographie également l'Afrique du Sud et ses rassemblements antinazis, le Rwanda et les survivants du génocide, ou encore la disparition des personnes pendant la dictature chilienne. Dans ce corpus en noir et blanc et en couleur, Zachmann pointe les fragilités de nos relations aux autres, tout en revisitant son oeuvre. Voyages de mémoire est la nouvelle grande rétrospective du travail de Patrick Zachmann, depuis So Long, China (EXB, 2016) à la Maison Européenne de la Photographie, à Paris.
« J'aime les détails, les petites choses qui nous entourent. Le quotidien me fascine. Dans mon travail, je cherche à découvrir la richesse du monde », énonce Rinko Kawauchi. Pour la collection Des oiseaux, la photographe japonaise - figure de sa génération et qui a déjà publié aux Éditions Xavier Barral/Atelier EXB Halo et Illuminance - a porté son regard sur le printemps des hirondelles au Japon, saison des naissances. À l'abri des curieux, dans l'embrasure des fenêtres ou dans les sous-pentes des toits, ces minuscules oiseaux construisent des nids composés de terre, d'argile, d'eau et d'herbes sèches afin d'y protéger leurs couvées. Avec la poésie et le sens du détail qui la caractérisent, Rinko Kawauchi fait surgir la beauté éphémère d'instants suspendus : la fulgurance d'un vol, l'avidité d'une becquée, l'agilité des postures. Petites créatures fragiles faites de quelques grammes de plumes, les hirondelles, grâce à leurs ailes aiguës, se perchent partout avec aisance et grâce.
Immergées dans la lumière de ciels opalescents, en équilibre sur des fils électriques, perdues parmi la densité des feuillages, les hirondelles s'envolent avec fulgurance toutes ailes déployées, filant tel l'éclair pour nourrir leurs oisillons : leur vie se dévoile sous nos yeux émerveillés. Les cadrages décentrés, les trajectoires de vol semblant filer hors champ, les vues en plongés et contre plongés, les effets de lumière surexposée, les associations visuelles, l'immersion dans la nature, l'infiniment petit, la perception des textures - plumes, brins d'herbe, becs lustrés... - donnent à voir le merveilleux du monde.
Plongée au coeur de Bénarès, ville la plus sacrée de l'hindouisme qui accueille des pèlerins venus mourir ici pour effacer leurs péchés et mettre un terme au cycle des renaissances, End Time City nous immerge dans un monde hallucinatoire. Michael Ackerman nous conduit dans une folle déambulation parmi les étroites rues de la cité sainte qui mènent aux ghats et aux aires de crémation. Saturées de poussière, peuplées de présences fantomatiques aux regards intenses, les images d'Ackerman restituent un monde à la limite du rêve éveillé, où la sensation de simultanéité passé-présent semble tangible. Le temps paraît encapsulé : le photographe saisit la fureur et le bruissement du monde. Ses images parlent de transformation : venus se décharger du fardeau du temps et de la mortalité, femmes et hommes se mêlent aux chiens errants, surgissent au détour d'une ruelle, nous regardent de la profondeur d'une maison. L'état fiévreux qui règne ici, empreint à la fois de lenteur et d'une folie agitée, donne à voir la vanité du monde. L'expérience intime du photographe se fait expérience de l'universel. Femmes et hommes sont unis dans un même mouvement d'errance au fil des rues. Nous sommes à la fois tout prêt de la mort comme de la vie.
Le présent ouvrage offre un nouvel editing réalisé par l'artiste. Revisitant ses archives accumulées lors de ce voyage en Inde réalisé dans les années 1990, le photographe fait ici un pas de côté : le changement de format, de concept graphique et l'introduction d'images inédites offrent au lecteur un nouvel opus.
Édition revue et augmentée du fameux livre éponyme publié vingt ans plus tôt qui inscrivait Michael Ackerman parmi les figures majeures de la photographie, le présent ouvrage offre un nouvel editing réalisé par l'artiste. Revisitant ses archives accumulées lors de ce voyage en Inde réalisé dans les années 1990, le photographe fait ici un pas de côté : le changement de format, de concept graphique et l'introduction d'images inédites offrent au lecteur un nouvel opus.
Le temps, la mémoire, la beauté sont des thèmes qui traversent toute l'oeuvre des photographes. « Nous cherchons à expérimenter la beauté de la découverte », précisent-ils. Entre réel et illusion, l'image interroge notre rapport au monde tangible. « La photographie nous aide à comprendre la réalité, les images sont comme des notes visuelles dans un carnet. » Chaque image est comme une histoire arrêtée. Ses nuances chromatiques, nous immergent dans la couleur. Cabrera et Albarrán utilisent de nombreux procédés : tirage platine, au palladium, cyanotype, gélatine argentique, impression pigmentée... L'image se fait vibration sensible. Pour la collection Des oiseaux, le duo a réalisé des photographies spécialement pour le livre. La beauté de l'éphémère, une certaine mélancolie mais aussi la fragilité de l'instant saisi par l'objectif se révèlent au fil d'images en couleurs mordorées ou en monochrome. Les oiseaux semblent tout droit sortis de contes fantastiques ; ils prennent leur envol sur des surfaces miroitantes, se dispersent parmi de sombres frondaisons. Les cadrages serrés soulignent leur présence physique. Les oiseaux deviennent presque abstraits. Cou souple bicolore d'un couple de cygnes, bec immaculé d'une poule d'eau d'un noir lustré, ailes de palombes déployées aux pennes argentées, plumes de paon au somptueux tombé : le jeu formel des formes sert de contrepoint à la saturation des couleurs. Cabrera et Albarrán laissent l'interprétation de leurs images à la mémoire du spectateur, s'inscrivant dans la démarche de Joan Miró, qui dans son tableau Bird in Space, donne une représentation minimale de l'oiseau, à travers des points ou des ombres, pour laisser voler notre imagination.
Les peintres ont besoin d'arbres, d'objets, de scènes de rues pour leurs compositions. Vers 1897-1898, il commence à photographier Paris de manière systématique. L'époque s'intéresse au patrimoine de la capitale et la commission du Vieux Paris commande à Atget plusieurs séries qu'il nomme Paris pittoresque, L'art dans le vieux Paris, Environs... Doté d'un imposant dispositif comprenant une chambre à soufflet avec un châssis chargé de plaques de verre, le photographe saisit la topographie d'une ville qui change. Petits métiers, étalages, cours d'immeubles, heurtoirs, charrettes, ruelles, cafés, chiffonniers de la zone, jardins urbains, parcs à demi abandonnés, quais de la Seine, cette obsessionnelle recherche fixe le détail de l'imprévu ; il en émane un sentiment de nostalgie, d'immédiate proximité, mais aussi une grande poésie. Atget procède de manière méthodique, progressant par arrondissements et quartiers, comme en témoignent ses carnets.
Préférant les lumières du petit matin, le photographe réalise des milliers d'images destinées aux bibliothèques et aux musées. En 1906, la bibliothèque historique de la ville de Paris lui commande un travail sur la topographie du vieux Paris. Son cheminement montre des rues souvent désertes, des façades impénétrables, des fenêtres ouvertes sur de sombres intérieurs : le monde est comme endormi, il y a peu d'habitants, qui apparaissent tels des spectres derrière leur fenêtre. L'absence humaine dramatise le réel. Les objets sont eux aussi dotés d'une présence insolite : chaussures accrochées dans une vitrine, paniers, fouet et rênes suspendus mais sans cocher... Documents ou oeuvres d'art ?
Atget se qualifie d'auteur-éditeur : sa maîtrise absolue du cadrage, son attention aux lignes des bâtiments, aux détails inattendus, aux choses abandonnées élaborent un univers singulier. Chez Atget, la photographie est réduite à elle-même, elle n'a aucun apprêt. Dans les années 1920, son intérêt pour les objets du quotidien sortis de leur fonction fascine les surréalistes. Élève de Man Ray, l'Américaine Berenice Abbott est la première à comprendre son oeuvre. Elle acquiert à sa mort plus de mille plaques qu'elle vendra en 1968 au MoMA de New York, favorisant la diffusion de ses images aux États-Unis. Par son regard frontal, sa vision qui mêle imaginaire et réel, Atget a inventé la photographie moderne.
Cet ouvrage présente environ 170 images de la collection du musée Carnavalet et offre une promenade onirique et esthétique, une jouissance de l'oeil que souligne le titre de l'exposition à la fondation Henri Cartier-Bresson qui accompagne cette publication.
Durant plus de trente ans Harry Gruyaert a sillonné la péninsule indienne. Pour la première fois, cet ouvrage rassemble environ 150 photographies, pour la plupart inédites, qui racontent une Inde à la fois intemporelle et moderne.
Ces images témoignent de la singularité du photographe : de son intérêt pour le récit, l'espace public et les scènes inattendues. Gruyaert dit avoir besoin de voyager pour ressentir le monde et l'exprimer en images. Du Gujarat au Kerala, il a saisi une certaine quintessence de ce pays aux multiples légendes. Rues grouillantes d'activités de New Delhi ou de Calcutta, modestes villages du Tamil Nadu ou du Rajasthan, ghats des grandes cités religieuses de Bénarès ou de Varanasi... Des femmes en sari safran et pourpre battent le grain, des teinturiers s'activent dans des cuves fumantes, un campement de bergers nomades s'organise dans la lumière crépusculaire... L'air est saturé de couleurs, de lumière, de bruits, parfois de silence aussi. « La couleur doit être primordiale », précise Gruyaert, elle restitue une perception émotive, donne une vision graphique du monde. Les atmosphères aux subtiles variations chromatiques dressent un tableau contrasté et à rebours de tout exotisme. Loin des stéréotypes, ces images donnent à voir la pluralité de l'Inde au fil des années et des événements politiques du pays. « Faire une photo, c'est à la fois chercher un contact et le refuser, être en même temps le plus là et le moins là », dit le photographe.
Il s'agit de faire surgir l'émerveillement, de saisir ce qui caractérise le lieu. La recherche de densité dans le cadre fait de la photographie une expérience physique. Expérience qui s'incarne particulièrement ici, dans ce voyage multi sensoriel en Inde.
Le travail de Judith Joy Ross marque un tournant dans la lignée du portrait photographique. Ses images - sans prétention, directes, étonnantes par leur justesses - ont constamment la capacité d'entrevoir le passé, le présent et peut-être même l'avenir des individus qui se tiennent devant son objectif. Illustré par plus de deux cents images, dont beaucoup n'avaient jamais été vues ou publiées jusqu'alors, Judith Joy Ross : Photographies 1978-2015 est la monographie tant attendue qui explore la vie et la carrière d'une photographe américaine vénérée.
Le livre présente les textes du commissaire d'exposition Joshua Chuang et de la célèbre historienne de l'art Svetlana Alpers. Une réflexion personnelle d'Addison Bross, ami de la photographe, accompagne également la série de portraits Eyes Wide Open reproduite dans le livre.
En Inde, en Italie, en Andalousie, en Grèce, en France, Plossu dérobe des fragments du monde. Faisant alterner scènes urbaines et paysages majestueux, le photographe pose sur les oiseaux un regard à la fois tendre et curieux que souligne la qualité onirique et « surréelle », comme l'a précisé le critique Francesco Zanot, de ses images. Partout où il promène son appareil, Plossu s'impose une seule et même règle : la sobriété, obtenue grâce à un objectif de 50 mm. « C'est mon seul style, précise-t-il, ce qui me permet d'affirmer que mon style, c'est de ne pas faire de style ». Les oiseaux de Bernard Plossu nous semblent parfois bien familiers, peuplant cours d'immeubles, toits des campagnes ou fils électriques, d'autres, les ailes déployées, jouent avec les vents ascendants qui sifflent en altitude et attisent la fascination et le désir qu'ont depuis toujours les hommes de voler.
Présentées lors de son exposition au musée de la Chasse, à Paris, en 2018, puis ce printemps au Muséum d'histoire naturelle de Marseille, ces petites annonces, d'hommes cherchant des femmes, racontent l'évolution des qualités recherchées chez l'autre sexe depuis plus d'un siècle. Classés par décennies, des années 1910 à aujourd'hui, ces messages montrent les changements dans les critères de sélection. Au début du xxe siècle, les hommes parlent de fortune, de mariage, dans les années 1970, ils évoquent plutôt la crainte des femmes trop cérébrales et indépendantes. Plus on avance avec le temps plus le corps est évoqué, de même que la sexualité. Pour compléter son panorama sociologique des relations homme-femme, Sophie Calle a également puisé dans les annonces du Nouvel Observateur et du site de rencontres Meetic. Elle a repéré pour chaque décennie les qualités principales recherchées chez les deux sexes ; cet ouvrage présentant aussi des annonces de femmes cherchant des hommes. « J'ai toujours trouvé les petites annonces poétiques, j'aime leur langage concis, économique, elles sont comme des haïkus », souligne l'artiste. Parfois clairement intéressées, telle : « Garçon boucher désire connaître personne ayant boucherie, vue mariage », ces publications parlent aussi de la solitude à l'oeuvre dans la quête amoureuse, une quête dans laquelle il y a aussi de de l'attente, du silence, des non-dits. Image de la solitude affective, de la quête de l'amour ou au contraire marque de son renoncement, ces petites annonces dressent un catalogue amoureux. Artiste inclassable qui floute en permanence la ligne entre réalité et fiction, Sophie Calle met ici en scène la recherche universelle de l'être aimé chez la femme et chez l'homme. Conçu en collaboration avec la maison d'édition Cent pages, cet ouvrage s'inscrit dans la suite des livres dessinés à quatre mains avec l'artiste.
C'est en 1965, sept ans après un séjour de quatre mois à Londres, qu'il écrivait dans une brève introduction à son livre El rectangulo en la mano : « c'est au fond de moi que je cherche les photographies, lorsque, l'appareil à la main, je jette un oeil au dehors ; je peux consolider ce monde de fantômes lorsque je rencontre quelque chose qui résonne en moi. » Ce nouvel ouvrage en est la preuve tangible. Il fait suite au premier publié en 1999 par Hazan qui tenu lieu de « premier jet » avant que Sergio Larrain n'y fasse quelques retouches, alors que nous lui avions suggéré de nombreuses photos oubliées, qu'il n'avait d'abord pas considérées.
Le photographe chilien a été retenu dans l'histoire du médium essentiellement pour son oeil acéré et brillant certes, mais surtout pour les images de Valparaiso. Le corpus photographique réalisé pendant les quatre mois de cette résidence à Londres durant l'hiver 1958-1959 constitue le premier essai d'importance du photographe, qui devait ainsi faire ses preuves, en partie sur les traces de Bill Brandt qu'il appréciait. Curieusement, les photographies que Larrain a prises à Londres, sur le mode de la flânerie, ont été peu reproduites dans la presse, ce qui aurait pu être possible grâce à Magnum Photos, sa nouvelle agence. Car c'est à la faveur de ce voyage vers l'Angleterre que l'aspirant photographe fit un stop à Paris pour rencontrer son mentor Henri Cartier-Bresson et intégrer Magnum.
En 2008, elle commence à réaliser des portraits photographiques d'oiseaux en travaillant aux côtés d'ornithologues dans des réserves naturelles. Sujets particulièrement difficiles à saisir en raison de leur grande mobilité et de leur furtive attention, les oiseaux requièrent un art de l'attente que Leila a développé depuis des années passées dans les forêts et jungles tropicales. « J'ai toujours remarqué que beaucoup d'oiseaux avaient des expressions particulières. Pour les capter, il m'a fallu trouver comment les photographier de manière à faire surgir leur caractère propre, souligne-t-elle. Ma façon préférée de les photographier est d'installer un studio de portrait dans un endroit qui leur est familier. Je leur parle pendant que je travaille afin qu'ils interagissent avec moi. » Les temps de pose sont extrêmement longs de même que le travail en post-prod - nécessaire pour séparer ces merveilleuses créatures de leur environnement naturel. Cacatoès noirs, perruches sauvages, hiboux fauves, pigeons roses ou pinsons jaunes, tous semblent parés de leurs plus beaux atours. Tour à tour, gracieux, espiègle, farouche, fier, timide, poseur : chaque oiseau photographié laisse transparaître sa personnalité. Galerie de portraits à la fois fantaisistes et hyperréalistes, les images de Leila Jeffreys invitent à la rencontre d'espèces exotiques ou plus connues qui toutes semblent vouloir dialoguer avec le regardeur. Les somptueuses couleurs des plumes, du rose poudré au jaune citron, du vert émeraude au bleu cyan, confèrent à ces graciles personnages un chic pop et élégant.
L'oeuvre architecturale de Tadao Ando est reconnue à travers le monde. Pour la première fois le photographe Philippe Séclier, passionné d'architecture, a entrepris de relever une grande partie de ses constructions. Il s'est confronté aux figures géométriques et aux résonances spatiales de l'architecte japonais.
La lecture des planches de cet atlas permet de percevoir les jeux d'échos entre chaque édifice et de restituer, par-delà les enveloppes de béton et de verre, le caractère éminemment contemplatif et la force artistique de l'oeuvre du célèbre architecte. Le texte de Yann Nussaume viendra éclairer les différentes facettes de cette approche.
« Le Japon doit faire face, depuis des siècles, à l'impermanence des choses. Le tremblement de terre et le tsunami qui ont frappé, le 11 mars 2011, la côte Pacifique du Tohoku, nous l'ont malheureusement rappelé. Après m'être rendu dans les environs de Fukushima, pour les besoins d'un reportage, mon goût pour l'architecture japonaise m'a conduit à revenir dans ce pays alors en pleine reconstruction, afin de visiter notamment des édifices dessinés par Tadao Ando. Church of the Light, érigé à Ibaraki, dans la banlieue d'Osaka, fut le premier d'entre eux. D'instinct, devant la beauté, la simplicité et la plénitude cette petite église, j'ai su que j'allais être amené à découvrir d'autres lieux pour me confronter aux figures géométriques et aux résonances spatiales de Tadao Ando. Habité par ce projet, je n'ai eu de cesse, depuis 2012, de me documenter et de partir sur ses traces non seulement au Japon, mais aussi en Chine, en Corée du Sud, en Europe, en Amérique du Nord et en Amérique latine. Partout où j'ai pu, même quand les portes étaient closes et qu'il fallait insister pour qu'elles s'ouvrent, et par tous les temps, j'ai photographié les oeuvres de Tadao Ando. Son dialogue incessant avec la lumière et la matière m'a permis d'étudier sa mise en scène, de décomposer son geste créatif et de traduire, à ma façon, son langage architectural.
Huit ans plus tard, cet ouvrage réunit sous la forme d'un atlas plus de cent-vingt constructions dont la lecture des planches permet de structurer les récurrences de formes : maisons, églises, temples, musées, fondations, universités, bibliothèques, complexes multi-culturels, théâtres, boutiques, galeries marchandes, bureaux, usines, hôtels, restaurants, centres communautaires, maisons de thé, stations de métro ou de chemin de fer, et même un pont... »
Entouré de félins depuis son enfance, Fukase décide avec l'arrivée de ce nouveau chaton d'en faire un sujet photographique à part entière. Il l'emmène partout avec lui et, dans une forme presque expérimentale de longue haleine, explore une nouvelle pratique : « Cette année-là, j'ai pris beaucoup de photos en rampant à plat ventre pour être à hauteur des yeux d'un chat et, d'une certaine façon, ça a fait de moi un chat. C'était un travail plein de joie, de prendre ces photos en jouant avec ce qui me plaisait, en accord avec les changements de la nature. » Profitant de ce modèle plein de vie, Fukase créé comme à son habitude une photographie extraordinaire dans son inventivité technique et visuelle. Un an plus tard, il accueille un second chat, surnommée Momoe, qui entrera dans le cadre elle aussi : « Je ne voulais pas photographier les plus beaux chats du monde mais plutôt capturer leur charme dans mon objectif, tout en me reflétant dans leurs pupilles. On pourrait dire à juste titre que ce recueil est en fait un «autoportrait» pour lequel j'ai pris la forme de Sasuke et de Momoe. » Car il s'agit bien ici, comme souvent dans son oeuvre, d'une forme de projection du photographe dans son sujet. Le chat, compagnon fidèle qui ne le quitte pas, prend la place de sa femme, éternel chagrin d'amour, représenté également par les emblématiques corbeaux fuyants. Ce livre clôt la série de publications dédiée à ses chats et commencée en 2015 avec Wonderful days (Roshin books, Japon).
Cadrages décentrés, effets graphiques et puissance des ombres élaborent un univers poétique où le sentiment d'étrangeté se mêle à celui d'une réalité crue. L'équilibre puissant de ses compositions donne à voir des ciels saturés d'oiseaux, des situations cocasses et inattendues où des poulets attendent sagement sur des étals de marché, où des pigeons se disputent avec des singes, ailleurs se sont des nuées mouvantes qui ressemblent à de véritables organismes vivants aux mouvements souples et fluides. Pour Iturbide, les oiseaux vivants représentent la liberté. Mais la mort n'est jamais loin et un certain esprit surréaliste non plus. Oiseaux morts alignés sur un bout de trottoir, oiseaux carnassiers attendant leur proie au milieu du désert, corbeaux survolant des arbres secs, mésanges inertes posées sur les yeux d'une femme : les photographies de Iturbide sont souvent des tableaux énigmatiques.
La dimension organique, liée au sang, à la chair, à la boue, à la sueur ou encore à la terre, imprègne également la plupart de ses images. La photographe entretient un rapport particulier au réel en saisissant des moments singuliers. Les oiseaux et les hommes cohabitent, se frottent les uns aux autres. De l'Inde au Mexique, des fronts de mer aux terrasses urbaines, mouettes, aigles, pigeons, hérons, corbeaux envahissent l'espace des hommes ou s'y glissent de manière inopinée et solitaire. Les oiseaux de Graciela Iturbide suscitent à la fois attraction et répulsion : leur fragilité mais parfois aussi leur puissance menaçante interpellent et séduisent.
Le vivant, la nature, l'eau, l'air, la lumière, le feu, quelles percep-tions avons-nous de notre environnement, quel est notre rapport au monde sensible ? Tout est métamorphoses, impermanence. La photographe américaine Terri Weifenbach observe avec acuité les changements perpétuels d'une nature que bien souvent nous négligeons : son objectif capte les infimes variations de lumière, d'humidité, de touffeur. Les nuages s'épaississent, se teintent de nuances mordorées, le monde végétal bruisse, chargé d'humidité, la présence animale se révèle au creux d'un bois : la nature chez Terri Weifenbach se perçoit à la dérobée. Réalisées dans la forêt de Fontainebleau, au jardin du Muséum national d'histoire naturelle de Paris, au Japon dans les parcs de Nara et de Mishima, dans les Rocheuses et vastes plaines du Montana et du Wyoming ou encore dans les marais salants de Saint-Catherine Island, en Géorgie, ses images donnent à voir une nature immanente, qui laisse percer ses mystères à condition de l'approcher avec attention et curiosité. Le geste photographique se fait perception.
Titulaire d'une bourse de recherche, qui lui a ouvert les portes du prestigieux laboratoire américain de l'ARM (Atmospheric Radiation Measurement Research) où l'on mesure les particules présentes dans l'air, la dimension des nuages, les fractions de ciel couvertes de cirrus, la hauteur du plafond nuageux, le rayonnement solaire à la surface de la Terre ou encore la densité des pluies, Terri Weifenbach oeuvre en contrepoint aux instruments scientifiques qui mesurent l'immatériel. Ses images nous immergent dans une nature fragile et mystérieuse, où seule l'expérience sensorielle et notre perception visuelle et intuitive nous donnent accès au réel.
Le plissement velouté de l'eau, le vol lent d'un oiseau, une ligne d'horizon ponctuée d'oiseaux marins aux ailes ourlées de gris : le photographe capte une réalité qui fourmille de détails. Les métamorphoses de la nature le fascinent. Travaillant exclusivement en noir et blanc, Byunghun Min rend abstrait un moment éphémère. Brouillards sur lesquels se détache une mouette, variations de la lumière sur un rivage où se baignent des oiseaux migrateurs, ciels chargés de nuages et traversés par des nuées dansantes, sa perception de l'espace entraîne le regardeur dans les profondeurs de l'image, l'instant fugace se dérobe sous nos yeux.
Les oiseaux de Min habitent un espace impalpable. Ils semblent enveloppés dans un voile blanc, dans une lumière argentée. La quasi monochromie de l'image, l'uniformité des tons oscillant entre blancs et gris, l'absence de perspectives et de contrastes, la simplicité de la construction et le minimalisme des formes restituent un réel devenu fantastique. Le long travail lors du tirage du négatif permet au photographe de rendre non seulement ce qu'il a vu mais aussi perçu. Les oiseaux de Min invitent à la contemplation.
Entre catalogue raisonné et livre d'artiste, Ainsi de suite rassemble le travail de Sophie Calle depuis 2003 jusqu'à aujourd'hui en reprenant les choses là où elles avaient été laissées par M'as-tu vue, premier ouvrage rétrospectif des oeuvres de l'artiste réalisées entre 1979 et 2003, qui se terminait sur Unfinished. Ainsi de suite débute par cette série et poursuit jusqu'aux travaux en cours, en présentant à la fois les oeuvres et des vues d'exposition pour beaucoup inédites.
Plusieurs conversations entre l'artiste et l'écrivain Marie Desplechin servent de fil rouge aux déambulations du lecteur dans l'oeuvre foisonnante de Sophie Calle à travers un parcours thématique rassemblant près de trente séries.