En quelques pages, à la première personne, Annie Ernaux raconte une relation vécue avec un homme de trente ans de moins qu'elle. Une expérience qui la fit redevenir, l'espace de plusieurs mois, la «fille scandaleuse» de sa jeunesse. Un voyage dans le temps qui lui permit de franchir une étape décisive dans son écriture.Ce texte est une clé pour lire l'oeuvre d'Annie Ernaux - son rapport au temps et à l'écriture.
«Enfant, quand je m'efforçais de m'exprimer dans un langage châtié, j'avais l'impression de me jeter dans le vide.Une de mes frayeurs imaginaires, avoir un père instituteur qui m'aurait obligée à bien parler sans arrêt en détachant les mots. On parlait avec toute la bouche.Puisque la maîtresse me reprenait, plus tard j'ai voulu reprendre mon père, lui annoncer que se parterrer ou quart moins d'onze heures n'existaient pas. Il est entré dans une violente colère. Une autre fois:Comment voulez-vous que je ne me fasse pas reprendre, si vous parlez mal tout le temps! Je pleurais. Il était malheureux. Tout ce qui touche au langage est dans mon souvenir motif de rancoeur et de chicanes douloureuses, bien plus que l'argent.»
Tous les livres que j'ai écrits ont été précédés d'une phase, souvent très longue, de réflexions et d'interrogations, d'incertitudes et de directions abandonnées.À partir de 1982, j'ai pris l'habitude de noter ce travail d'exploration sur des feuilles, avec des dates, et j'ai continué de le faire jusqu'à présent. C'est un journal de peine, de perpétuelle irrésolution entre des projets, entre des désirs. Une sorte d'atelier sans lumière et sans issue, dans lequel je tourne en rond à la recherche des outils, et des seuls, qui conviennent au livre que j'entrevois, au loin, dans la clarté.A. E.Parallèlement à ses romans, Annie Ernaux tient un journal d'avant-écriture; une sorte de livre de fouilles, rédigé année après année, qui offre une incursion rare de «l'autre côté» de l'oeuvre.Plongé au coeur même de l'acte d'écrire, le lecteur devient témoin du long dialogue de l'autrice avec elle-même:la pensée taillée au couteau, des idées en vrac, des infinitifs en mouvement; des associations de mots, de morceaux de temps, et de confidences.Pour la réédition de L'atelier noir, Annie Ernaux a souhaité augmenter l'ouvrage de pages inédites de son journal de Mémoire de fille.
Ce sont celles qui se sont écoulées de la fin de la deuxième guerre mondiale à aujourd'hui, revisitées par la mémoire d'une femme. Le livre saisit la trace des événements mais davantage encore le changement ininterrompu des choses et des représentations, idées, croyances, lieux communs en circulation dans la société. Dans ce mouvement collectif et anonyme, douze « arrêts sur photo » aux différents âges de la vie introduisent la dimension individuelle de cette femme, les modifications de son corps et de ses désirs, de sa perception du passé et de l'avenir.
Ni fiction ni autofiction, Les années constituent une autobiographie impersonnelle, une forme nouvelle de récit entre histoire et mémoire. Plus que tout, l'écriture tente de faire ressentir le passage du temps.
Annie Ernaux
« J'ai voulu l'oublier cette fille. L'oublier vraiment, c'est-à-dire ne plus avoir envie d'écrire sur elle. Ne plus penser que je dois écrire sur elle, son désir, sa folie, son idiotie et son orgueil, sa faim et son sang tari. Je n'y suis jamais parvenue. » Dans Mémoire de fille, Annie Ernaux replonge dans l'été 1958, celui de sa première nuit avec un homme, à la colonie de S dans l'Orne. Nuit dont l'onde de choc s'est propagée violemment dans son corps et sur son existence durant deux années.
S'appuyant sur des images indélébiles de sa mémoire, des photos et des lettres écrites à ses amies, elle interroge cette fille qu'elle a été dans un va-et-vient implacable entre hier et aujourd'hui.
" Depuis des années, je tourne autour de cet événement de ma vie.
Lire dans un roman le récit d'un avortement me plonge dans un saisissement sans images ni pensées, comme si les mots se changeaient instantanément en sensation violente. De la même façon entendre par hasard La Javanaise, J'ai la mémoire qui flanche, n'importe quelle chanson qui m'a accompagnée durant cette période, me bouleverse. "
«À partir du mois de septembre l'année dernière, je n'ai plus rien fait d'autre qu'attendre un homme : qu'il me téléphone et qu'il vienne chez moi.» Annie Ernaux.
Elle a trente ans, elle est professeur, mariée à un «cadre», mère de deux enfants. Elle habite un appartement agréable. Pourtant, c'est une femme gelée. C'est-à-dire que, comme des milliers d'autres femmes, elle a senti l'élan, la curiosité, toute une force heureuse présente en elle se figer au fil des jours entre les courses, le dîner à préparer, le bain des enfants, son travail d'enseignante. Tout ce que l'on dit être la condition «normale» d'une femme.
Annie Ernaux est aujourd'hui, de façon incontestable, l'un des auteurs français les plus (re)connus dans le paysage littéraire contemporain, son oeuvre est traduite dans de nombreux pays et couronnée par de multiples prix (récemment encore le Prix Prince Pierre de Monaco). Ce volume qui lui est consacré permettra tout à la fois de satisfaire les lecteurs les plus érudits mais également de répondre à la curiosité littéraire d'un public de plus en plus large et fidèle. Mêlant regards critiques et interventions plus personnelles d'écrivains ou d'artistes, le Cahier explore autant les enjeux sociologiques, historiques et parfois psychanalytiques de l'oeuvre d'Annie Ernaux que sa sensibilité intime. La multitude des intervenants, issus de milieux aussi divers que le cinéma, le théâtre, la littérature, la chanson et la recherche littéraire, vise à mettre en valeur les nombreuses facettes du travail d'Annie Ernaux. Certaines parties mettent l'accent sur des ouvrages précis, L'Événement, Les Années et Mémoire de fille, quand d'autres abordent les thématiques qui traversent toute l'oeuvre ; écriture, voyages, engagement politique,... De nombreux extraits inédits du journal d'écriture d'Annie Ernaux témoignent par ailleurs du regard sans cesse éveillé que l'écrivaine pose sur le monde.
Aux premières lignes, la narratrice annonce, avec le moins d'effet possible, la mort de sa mère.
Suit, quelques pages plus loin, le projet de l'écrivain : " chercher une vérité sur ma mère qui ne peut être atteinte que par des mots ". le récit se déroule alors comme un flash-back où la mère d'annie ernaux est tour à tour la quatrième enfant de ses propres parents, une jeune mariée heureuse et fière, une commerçante, une vieille femme bientôt touchée par la maladie d'alzheimer. une expérience intime dans laquelle le lecteur se glisse sans peine.
L'accompagnement critique met en place la poétique d'annie ernaux et en interroge la formule: " rester au-dessous de la littérature ". une interview exclusive donne accès à la genèse d'une femme, éclaire le statut du " je " dans le livre et met l'accent sur l'intertextualité. une page du manuscrit montre la progression de l'écriture, la rature, l'effacement, le choix. un groupement de textes (rousseau, stendhal, sarraute) permet de travailler sur les différentes formes du biographique.
Roman (xxe siècle) recommandé pour les classes de lycée. texte intégral. objet d'étude: le roman autobiographique.
" ca suffit d'être une vicieuse, une cachottière, une fille poisseuse et lourde vis-à-vis des copines de classe, légères, libres, pures de leur existence...fallait encore que je me mette à mépriser mes parents.
Tous les péchés, tous les vices. personne ne pense mal de son père ou de sa mère. il n'y a que moi ".
Un roman âpre, pulpeux, celui d'une déchirure sociale, par l'auteur de la place.
J'ai toujours eu envie d'écrire des livres dont il me soit impossible de parler, qui rendent le regard d'autrui insoutenable.
Mais quelle honte pourrait m'apporter l'écriture d'un livre qui soit à la hauteur de ce que j'ai éprouvé dans ma douzième année.
Annie Ernaux est aujourd'hui, de façon incontestable, l'un des auteurs français les plus (re)connus dans le paysage littéraire contemporain. Ce Cahier, mêlant regards critiques et témoignages personnels d'écrivains ou d'artistes, comporte un très grand nombre d'inédits de l'auteure - notamment des extraits de son journal - ainsi que des documents personnels (manuscrits, photos, échanges épistolaires....).
« J'ai retrouvé une lettre de P. dans un dossier de factures datant des années quatre-vingt. Une grande feuille blanche pliée en quatre, avec des taches de sperme qui avait jauni et durci le papier, lui donnant une contexture transparente et granuleuse. Il y avait seulement écrit, en haut, à droite, Paris, 11 mai 1984, 23 heures 20, vendredi. C'est tout ce qu'il me reste de cet homme. »Passion sensuelle, amour maternel heurté, vertiges du transfuge, écriture-révolution, hommage à Pierre Bourdieu... En douze textes, composés entre 1984 et 2006, ce recueil est une invitation à découvrir l'écriture rare d'Annie Ernaux et à s'initier, pas à pas, à ses thèmes les plus obsessionnels et fondateurs.
" J'avais quitté W.
Quelques mois après, il m'a annoncé qu'il allait vivre avec une femme, dont il a refusé de me dire le nom. A partir de ce moment, je suis tombée dans la jalousie. L'image et l'existence de l'autre femme n'ont cessé de m'obséder, comme si elle était entrée en moi. C'est cette occupation que je décris. " A.E.
«Écrire n'est pas pour moi un substitut de l'amour, mais quelque chose de plus que l'amour ou que la vie.» 15 janvier 1963 «Cette sensation terrible, toujours, d'être à la recherche de l'écriture "inconnue", comme cela m'arrive de désirer une nourriture inconnue. Et je vois le temps passer, nécessité d'écrire contre le temps, la vieillesse.» 3 août 1990 «Écrire la vie. Non pas ma vie, ni sa vie, ni même une vie. La vie, avec ses contenus qui sont les mêmes pour tous mais que l'on éprouve de façon individuelle : le corps, l'éducation, l'appartenance et la condition sexuelles, la trajectoire sociale, l'existence des autres, la maladie, le deuil. Je n'ai pas cherché à m'écrire, à faire oeuvre de ma vie : je me suis servie d'elle, des événements, généralement ordinaires, qui l'ont traversée, des situations et des sentiments qu'il m'a été donné de connaître, comme d'une matière à explorer pour saisir et mettre au jour quelque chose de l'ordre d'une vérité sensible.» juillet 2011
«En 2008, Michelle Porte, que je connaissais comme la réalisatrice de très beaux documentaires sur Virginia Woolf et Marguerite Duras, m'a exprimé son désir de me filmer dans les lieux de ma jeunesse, Yvetot, Rouen, et dans celui d'aujourd'hui, Cergy. J'évoquerais ma vie, l'écriture, le lien entre les deux. J'ai aimé et accepté immédiatement son projet, convaincue que le lieu - géographique, social - où l'on naît, et celui où l'on vit, offrent sur les textes écrits, non pas une explication, mais l'arrière-fond de la réalité où, plus ou moins, ils sont ancrés.»
20h30.
Qu'est-ce qu'aimer un homme ? Qu'il soit là, et faire l'amour, rêver, et il revient, il fait l'amour. Tout n'est qu'attente.
Comme beaucoup, Annie Ernaux se rend dans un hypermarché pour faire ses courses. Pendant une année, elle a noté ses observations et, sous sa plume, ce « grand rendez-vous humain » devient plongée au coeur de notre société.
Plus qu'un tableau exhaustif, l'autrice livre une « capture impressionniste » du monde de la grande distribution et élève un lieu du quotidien au rang de sujet littéraire.
«De 1985 à 1992, j'ai transcrit des scènes, des paroles, saisies dans le R.E.R., les hypermarchés, le centre commercial de la Ville Nouvelle, où je vis.
Il me semble que je voulais ainsi retenir quelque chose de l'époque et des gens qu'on croise juste une fois, dont l'existence nous traverse en déclenchant du trouble, de la colère ou de la douleur.» Annie Ernaux.
Ma mère a été atteinte de la maladie d'alzheimer au début des années 80 et placée dans une maison de retraite.
Quand je revenais de mes visites, il fallait que j'écrive sur elle, son corps, ses paroles, le lieu où elle se trouvait. je ne savais pas que ce journal me conduirait vers sa mort, en 86.
Yvetot, un dimanche d'août 1950. Annie a dix ans, elle joue dehors, au soleil, sur le chemin caillouteux de la rue de l'École. Sa mère sort de l'épicerie pour discuter avec une cliente, à quelques mètres d'elle. La conversation des deux femmes est parfaitement audible et les bribes d'une confidence inouïe se gravent à jamais dans la mémoire d'Annie. Avant sa naissance, ses parents avaient eu une autre fille. Elle est morte à l'âge de six ans de la diphtérie. Plus jamais Annie n'entendra un mot de la bouche de ses parents sur cette soeur inconnue. Elle ne leur posera jamais non plus une seule question.
Mais même le silence contribue à forger un récit qui donne des contours à cette petite fille morte. Car forcément, elle joue un rôle dans l'identité de l'auteur. Les quelques mots, terribles, prononcés par la mère ; des photographies, une tombe, des objets, des murmures, un livret de famille : ainsi se construit, dans le réel et dans l'imaginaire, la fiction de cette " aînée " pour celle à qui l'on ne dit rien. Reste à savoir si la seconde fille, Annie, est autorisée à devenir ce qu'elle devient par la mort de la première. Le premier trio familial n'a disparu que pour se reformer à l'identique, l'histoire et les enfances se répètent de manière saisissante, mais une distance infranchissable sépare ces deux filles. C'est en évaluant très exactement cette distance que l'auteur trouve le sens du mystère qui lui a été confié un dimanche de ses dix ans.
«Ça ne vaut plus le coup d'avoir mes règles. Ma tante a dit:t'as perdu ta langue, Anne? t'étais plus causante avant. C'est plutôt la leur de langue que j'ai perdue. Tout est désordre en moi, ça ne colle pas avec ce qu'ils disent.»Histoire d'une adolescente comme les autres, qui cherche à communiquer, à comprendre. Mais rien, dans le langage de ses parents, de l'étudiant qu'elle a recontré, dans les mots des livres même, ne coïncide avec la réalité de ce qu'elle vit et elle se trouve renvoyée à la solitude.
« Depuis la parution de mon premier livre, Les armoires vides, il y aura bientôt 40 ans, je suis allée rencontrer des lecteurs dans beaucoup de villes, en France et dans le monde. Jamais à Yvetot, malgré l'invitation qui m'en avait été faite à plusieurs reprises. » Pour la première fois, le 13 octobre 2012, à la demande de la municipalité, Annie Ernaux accepte de rencontrer les habitants de la petite ville normande où elle a passé son enfance. C'est le texte émouvant de cette conférence inédite qui est publié ici, ce moment de réconciliation où l'écrivaine évoque en tant que « femme qui écrit » et « fille du pays », le lien qui unit sa mémoire de la ville et son écriture.
Une étape majeure pour l'auteure de La Place puisque cette petite ville cauchoise où ses parents tenaient un caféépicerie est au coeur de toute son oeuvre, le lieu qui « contient son histoire ».
« Comme ne l'est aucune autre ville pour moi, [Yvetot] est le lieu de ma mémoire la plus essentielle, celle de mes années d'enfance et de formation, cette mémoire-là est liée à ce que j'écris, de façon consubstantielle. Je peux même dire : indélébile. »