« C'est de l'hébreu pour moi ! » Cette expression populaire marque bien le sentiment d'étrangeté que suscite souvent la langue dans laquelle est écrite la Bible. Pourtant, au même titre que le grec et le latin, l'hébreu est à la source notre patrimoine culturel et spirituel. Tel est le paradoxe que relève Julien Darmon, et qui le conduit à déconstruire les préjugés ancestraux pesant sur une langue réputée « difficile », lointaine parce que « sémitique », « langue morte » qui aurait été réveillée uniquement par le sionisme, etc.
Une fois écartés ces obstacles imaginaires, l'hébreu nous livre son génie propre : celui des 22 lettres de son alphabet qui peuvent se combiner d'une manière quasi infinie, donnant au texte « divin » une extraordinaire polysémie. Tout fait sens dans l'écriture de la Torah, et la tradition juive se caractérise par une incomparable liberté d'interprétation. Les chrétiens eux-mêmes gagneraient à s'initier à la langue dans laquelle priait Jésus, dont les paroles prennent des connotations insoupçonnées à la lumière de leurs résonances sémitiques. Julien Darmon en livre maints exemples et démontre ainsi que, loin de lui être opposé, l'Esprit réside au coeur de la Lettre.
Qu'est-ce que la kabbale ? Une mystique, un ésotérisme, un ensemble de pratiques magiques ? Autant de termes flous qui ne nous éclairent pas vraiment sur cet enseignement multiséculaire et unique en son genre.
D'ailleurs, selon les textes kabbalistiques eux-mêmes, la kabbale ne devrait être transmise qu'à des juifs, et même à une élite savante et spirituelle du judaïsme. Alors pourquoi tenter d'en partager « l'esprit », qui plus est dans une langue non hébraïque ?
Tel est pourtant le défi de ce livre, qui ne néglige pas les travaux d'érudits comme Gershom Scholem ou Moshe Idel, mais aborde la question par un autre versant. Le lecteur y est invité à entrer dans une vision globale du monde, de l'homme et du divin - une vision certes profondément enracinée dans la tradition juive, comme le montrent son vocabulaire et ses références à la Torah, mais qui ouvre sur l'universel et peut enrichir tout un chacun. Chaque notion (tsimtsum, sefi rot, gematria...) est replacée dans le système vivant où elle prend tout son sens, au-delà du folklore et des approximations. Tableaux, schémas et annexes permettent de se repérer dans cette complexité, qui nous est rendue accessible par une remarquable clarté d'exposition.
Un livre stimulant pour le coeur et l'intelligence.
S'il est de coutume d'opposer, dans de nombreuses traditions religieuses, les domaines de la Loi et de la mystique ou de l'ésotérisme, le judaïsme se montre rétif à une telle dichotomie. La distinction existe certes, mais ce sont en règle générale les mêmes figures rabbiniques qui s'adonnent tant à l'étude talmudique et halakhique que kabbalistique. Plus encore, les deux disciplines s'influencent beaucoup plus qu'on n'a tendance à le présumer. À partir de la diffusion du Zohar, les décisionnaires séfarades et orientaux n'hésitent pas à mobiliser, conjointement au Talmud et souvent contre les commentateurs médiévaux, les sources kabbalistiques comme source de loi et de coutume. Cette irruption du corpus ésotérique dans le champ légal amène les autorités savantes traditionnelles à repenser la structure du corpus rabbinique et, au-delà, à dessiner une philosophie de l'histoire juive qui progresserait au rythme de l'interprétation croissante de la kabbale et de la halakha.
Voici un livre qui, sans conteste, deviendra de référence. Écrit par d'éminents spécialistes, il donne à voir et à comprendre l'histoire du judaïsme et du peuple juif. Les origines, les évolutions, les constances ou les ruptures, mais surtout, parce qu'il s'agit de l'histoire d'une nation qui fut longtemps sans Etat, ni territoire géographique, parlant une grande diversité de langues et s'exprimant à travers des traditions très différentes, l'histoire de ses singularités : les cultures, la religion, la production intellectuelle, les institutions sociales, la force de ses symboles et de son imaginaire. Ainsi que l'illustrent les chapitres qui constituent le livre : Le monde de la Torah, les origines du midrash, les quatre coudées de la loi (Halakhah), l'interprétation talmudique, la philosophie dans la tradition, l'histoire de la kabbale, les origines du hassidisme, la liturgie dans la vie juive, les nations au miroir d'Israël, les dissidences, les naissances du judaïsme séfarade et ashkénaze, l'histoire des communautés et des institutions sociales, l'essor des modernités juives, le sionisme face au judaïsme , le judaïsme au présent.
Il est frappant de constater que, si l'histoire du peuple juif est pour une bonne par-tie celle d'un exil politique, elle est aussi celle d'un exil existentiel : comment réconcilier le ciel et la terre, l'idéal qui s'exprime dans les livres et le réel souvent tragique. Mais égale-ment combien " la conception lacrymale de l'histoire juive " affleure à peine : si le ghetto et les persécutions marquent le quotidien des juifs, la " vraie vie " est bien davantage en-tre les lignes du Talmud, du Midrash ou de la kabbale.
Le volume, en retour, déconstruit l'idée selon laquelle l'histoire juive serait une non-histoire, une vie hors du temps, suspendue à une attente passive : au contraire, les facettes de la vie de l'esprit juif s'exprime sur le mode d'une authentique progression his-torique et se réinvente constamment.
Au moment où le peuple juif et l'histoire du judaïsme ont donné lieu à des ouvrages contestables et souvent lacunaires, ce livre, par sa grande érudition, sa hauteur de vue, arrive à point nommé. Rappelons que ce sont d'éminents spécialistes issus des plus presti-gieuses institutions et universités (Columbia, Yale, Jérusalem, Ehess, Cnrs..) qui l'ont conçu et rédigé.