Les Primitifs Flamands, un des ouvrages phares de Panofsky (Historien et théoricien de l'art d'origine allemande (1892-1968), s'est développé à partir d'une série de conférences. Il conserve de cette origine une remarquable clarté et constitue ce qu'il est convenu d'appeler une somme. Paru en 1953, il a été traduit par Hazan pour sa première édition en français en 1992. L'étude de Panofsky suit le cours chronologique, en remontant très loin en arrière : la question des origines de cet art septentrional qui ne culminera qu'au milieu du XVe siècle occupe une place très importante.
Et c'est une passionnante enquête sur des terres mal défrichées : les miniatures franco-flamandes, le style gothique international, l'art de la cour de Bourgogne, les écoles locales du Nord avant la révolution de l'ars nova qui apparaît avec le Maître de Flémalle. Puis viennent les chapitres de l'âge d'or, sur les Van Eyck et Van der Weyden, qui constituent comme autant de monographies. Le livre se termine par une étude sur les héritiers immédiats de cet âge : Petrus Christus, Dirk Bouts, Hugo Van der Goes, Gérard David, Juste de Gand, etc. Ici la démarche iconologique de Panofsky s'infléchit pour se faire histoire stylistique et dégager peu à peu l'émergence d'un continent culturel entier. Par-delà la minutie de l'approche, naissent au fil des pages de véritables petites épopées de la pensée, et l'on se demande comment l'auteur parvient à maîtriser son érudition pour savoir la rendre toujours aussi utile et parlante. De l'identification d'un musicien sur un portrait de Van Eyck (et du discours qui s'ensuit sur peinture et musique) à la définition du style anguleux de Van der Weyden, de l'étude presque tactile des Heures des manuscrits enluminés des XIVe et XVe siècles à la caractérisation des difficultés d'un suiveur comme Petrus Christus, le lecteur est amené à relier entre eux les fils innombrables d'une continuité que Panofsky retrace avec son habituelle élégance.
La Camera di San Paolo est l'un de ces lieux un peu secrets qui, en marge des cycles célèbres et des chefs-d'oeuvre reconnus, constituent pour l'histoire de l'art des rendez-vous obligés. La singularité du propos, immédiatement visible, son caractère d'énigme ou de rébus font des peintures ornant cette " chambre " une véritable nasse symbolique où le visiteur fasciné se sent quelque peu perdu. Pourquoi et pour qui le Corrège a-t-il peint cet étrange cortège ? D'où viennent et que disent les figures ? À ces questions, l'étude de Panofsky répond, non de façon dogmatique, mais en suivant point par point le véritable réseau d'indices dissimulé dans les grisailles et le treillis de feuillage qui forme ce plafond unique en son genre. Devant un ensemble aussi complexe et aussi piégé, dont la cohérence saute aux yeux, Panofsky ne pouvait que relever le défi. Ce rébus mythologique, né dans le climat de l'Italie renaissante et selon les accents savants que lui imprimaient les cercles lettrés du Nord de la péninsule, fonctionne comme un véritable paradis exégétique : de telle sorte qu'avec cette étude Panofsky livre un modèle du genre, un modèle d'iconologie appliquée. Certes, ce n'est que la lettre de la peinture qui est ainsi approchée et il va de soi que l'indentification des figures ne dévoile pas tout de leur secret. Mais, chemin faisant, le voyage proposé à travers le temps, de l'origine de la mythologie à son réemploi renaissant, se mue en une série d'incursions dans la mémoire de l'Occident où, entre voilement et dévoilement, énigme et apparence, c'est la forme même d'apparition du sens qui est interrogée. Le cycle de peintures de la Camera di San Paolo à Parme, outre son raffinement exceptionnel, constitue un rebus mythologique né dans le climat de l'Italie renaissante et selon ses accents savants que lui imprimaient les cercles lettrés du Nord de la péninsule. Ce décor réalisé par Corrège fonctionne comme un véritable paradis exégétique à partir duquel Panofsky nous livre un modèle d'iconologie appliquée, à la manière d'un voyage à travers le temps, de l'origine de la mythologie à son réemploi renaissant.
Indices, détours, sources cachées, ramifications imprévues, résurgences, singularités - l'enquête iconologique est comme une science du ricochet : d'un point à un autre, par rebonds successifs, par petites touches, une oeuvre est traversée. Ici, à propos du Titien, et en six études aux sujets circonscrits, la méthode de Panofsky s'illustre une nouvelle fois, avec une maîtrise consommée. Mais dans ce qui se voulait aussi hommage rendu à un artiste admiré entre tous vient s'inscrire une autre dimension. Si ce sont toujours des énigmes de la représentation figurée que le livre cherche à dévoiler, de fil en aiguille et chemin faisant, ce qui apparaît, c'est une étude qui dégage le sens de l'oeuvre dans son ensemble. Le discours, s'il reste bien entendu rigoureux, s'il en passe par ces prodiges d'érudition familiers aux lecteur de Panofsky, s'étonne ici d'une autre manière. Devant le caractère inépuisable d'une oeuvre dans laquelle il se sent littéralement immergé, Panofsky ne cherche pas à maîtriser les flux de signification en les orientant dans un sens biographique ou stylistique. Chacun des postes d'observation que constituent les thèmes des six études ici réunies fonctionne comme une sorte de tremplin à partir duquel il se jette dans l'océan de l'oeuvre en entraînant le lecteur avec lui. De telle sorte, qu'en partant à chaque fois d'un problème (par exemple : le Titien et Ovide), l'enquête en vient à révéler lumineusement mais surtout naturellement la problématique de l'oeuvre du Titien tout entière et à en dégager la singularité au sein de son époque. Un tel équilibre, fruit d'un contact amoureux permanent avec la peinture du maître vénitien, prend les allures d'un accomplissement : il s'agit en effet du dernier livre conçu et corrigé par le grand historien, qui donne ici à la fois un chef-d'oeuvre d'érudition poétique et une ultime méditation sur le sens des oeuvres. Mots clés : iconologie, Ovide, Charles Quint, Gonzague, Bassano, L'Arétin, Pesaro, Venise, Giorgione, Rubens, Raphaël, Campagnola.
- La Vie et l'art d'Albrecht Dürer est l'un des livres majeurs d'Erwin Panofsky. Et peut-être, comme le pensait un esprit aussi critique que Ernst H. Gombrich, la plus achevée des monographies écrites sur un artiste au XXe siècle.
Publiée en 1943, alors que Panofsky, réfugié aux États-Unis, enseignait à l'Université de Princeton, elle s'est tout de suite imposée comme un véritable monument. De fait, plus de soixante ans après sa publication, la plupart des travaux sur Dürer continuent à se définir par rapport au texte de Panofsky, bien plus, il faut le souligner, qu'à celui d'Heinrich Wolfflin écrit, en 1905, dans une perspective plus formaliste. À bien des égards, l'image de Dürer construite au fil du livre, celle d'un créateur virtuose mais surtout d'un véritable« penseur , reflète largement la propre conception que Panofsky se faisait de l'activité intellectuelle. La longue analyse de Melencolia 1 ou le chapitre sur Dürer théoricien pourraient à eux seuls faire l'objet de publications séparées. Mais, pour Panofsky, contraint à la fuite par le régime nazi, revenir à distance sur l'artiste emblématique qu'est Dürer -avec Grünewald -, dans l'historiographie allemande, avait forcément la valeur d'un acte éminemment symbolique. Il faut en définitive lire La Vie et l'art d'Albrecht Dürer de Panofsky comme ce que, d'emblée, ce livre se déclare : une réflexion critique sur la contribution des nations à la formation des styles ; une méditation intellectuelle d'un exilé sur le rapport de son pays, l'Allemagne, à l'histoire de l'art ; une volonté aussi d'opposer une sorte de contre-narration aux travaux sur l'art allemand les plus marqués par l'idéologie nationaliste ou fasciste.
- « Pandore est la première femme, le beau mal ; elle ouvre une boîte défendue ; en sortent tous les maux dont héritera l'humanité ; seule demeure l'espérance. » D'Hésiode à Paul Klee, soit sur la totalité de l'arche de temps de l'art occidental, le mythe de Pandore accomplit son chemin. C'est ce parcours, avec ses longs silences, ses reprises, ses transformations, que le livre de Dora et Erwin Panofsky retrace.
De la Délie de Maurice Scève (« Et de moy seul fatale Pandora ») aux dessins et aux peintures du néo-classicisme, de l'inquiétante et très belle Eva Prima Pandora de Jean Cousin à la femme fatale peinte par Dante Gabriel Rossetti, à travers livres d'emblèmes, textes savants, poèmes, compilations et grande peinture, ce sont non seulement les transformations d'un mythe, mais aussi la façon dont les époques qui le reprennent se projettent en lui, qui deviennent explicites. S'il sert bien tout d'abord à coudre très finement ensemble les pièces détachées dont se compose l'histoire de l'art, le fil conducteur des avatars du mythe de la boîte de Pandore, dégagé de l'ensemble du tissage culturel par une érudition à la fois extraordinaire et délicate, et comme tendu invisiblement par une sûreté théorique tout aussi déconcertante, vient ici fonctionner comme une sorte de révélateur. Le long de cette enquête si riche en pièces à conviction, le lecteur se retrouve, pour sa joie la plus grande, dans la posture de celui qui avance au sein d'une fiction : ce qui s'échappe de la boîte de Pandore ouverte par Erwin et Dora Panofsky, c'est la matière fictionnelle même, dans une pureté quasi originelle. Un nouvel essai du grand historien de l'art Erwin Panofsky, qui s'ajoute aux trois succès dans la collection Bibliothèque Hazan : Dürer, Titien et Les primitifs flamands.